Fondée en 1996 par le gouvernement du Qatar, Al-Jazeera, qui dispose de près de 80 bureaux à travers le monde et diffuse dans plusieurs langues, est considérée par ses détracteurs comme la caisse de résonance des mouvements du mouvement fondamentaliste dans la région arabe. En 2010, les autorités marocaines ont suspendu vendredi les activités du bureau d'Al-Jazeera à Rabat et décidé le retrait des accréditations du personnel de la chaîne qatarie d'information à la suite «de multiples manquements aux règles du journalisme sérieux et responsable.» Les autorités marocaines avaient reproché à Al-Jazeera la manière dont elle «traite les dossiers relatifs aux islamistes et à l'affaire du Sahara (occidental)», avait indiqué un responsable du gouvernement. Récemment, les prises de position antimarocaines de quelques journalistes travaillant à la chaîne ont irrité l'opinion nationale, offusquée par un néopanarabisme idéologique et islamiste s'étendant via les nouvelles technologies de l'information. Fayçal al Kasim, Khadija Benguenna, Hafid Derradji, Jamal Rayyan et d'autres ont vertement critiqué le rapprochement d'Israël et du Maroc, marqué des rapprochements sécuritaires puis d'accords diplomatiques, puis des relations économiques dans les secteurs de l'eau, de l'agriculture et du transport mais l'instauration de vols commerciaux directs reliant les deux pays. Sur Twitter, ces noms ont été épinglés pour des manquements à l'impartialité dans leur couverture de l'actualité marocaine. Ils étaient déjà été au cœur de controverses dans le passé pour des écarts à la discipline ; ils avaient notamment été critiqués après avoir posté en ligne des interrogations et commentaires incisifs sur les choix diplomatiques marocains. Financée par le Qatar, principal bailleur de fonds de la chaîne, Al-Jazeera est devenue une source d'information controversée comptant plus de 3 600 employés présents dans 70 pays. Pour beaucoup, certaines voix emblématiques de la chaîne promeuvent la diplomatie médiatique qatarie, avec une ligne éditoriale jugée proislamiste et alignée sur les positions officielles de l'émirat. «En exposant leur mauvaise humeur vis-à-vis du Maroc, ces rabatteurs ne font que véhiculer les positions malsaines de l'axe Iran, Hezbollah, Hamas et Qatar. Quid de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'autres Etats ?» écrit un internaute marocain en colère. «On sait que la prise de décision au Qatar est fortement personnalisée, il le fait d'un groupe très restreint et ne passe pas par les circuits d'une bureaucratie ministérielle jugée étouffante. Mais lancer ses chiens de garde pour s'attaquer aux choix souverains d'autres pays est inacceptable», tonne un autre. En octobre, Fayçal al Kasim, un Britannique d'origine syrienne, suscité une énorme colère au Maroc après des tweets attaquant les institutions marocaines. Ce journaliste druze est titulaire d'un doctorat ès lettres anglaises a été amer après la défaite du Parti de la justice et du développement (PJD) lors des élections législatives. Le parti islamiste s'est effondré, passant de 125 sièges dans l'assemblée sortante à 13, avait rapporté le ministre de l'intérieur, Abdelouafi Laftit, lors d'un point de presse. Il est arrivé loin derrière ses principaux rivaux, le Rassemblement national des indépendants (RNI), le Parti Authenticité et modernité (PAM), ses principaux rivaux. Face à cette débâcle, al Kasim a dénoncé «un projet» dont le but est d'en finir avec «la parenthèse du printemps arabe», tout en notant que les décisions et les orientations dans des secteurs-clés n'ont pas émané du PJD durant ces dernières années. Mais ce sont les commentaires du personnel algérien qui ont suscité des réactions mélangées au Maroc. La reprise des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël et la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara a encore avivé les tensions avec l'Algérie qui a dénoncé des «manœuvres étrangères» visant à «saper ses fondements». Un élément de langage repris par Khadija Benguenna et Hafid Derradji, qui se sont alignés à une rhétorique propagandiste du régime algérien qu'ils fustigeaient il y a quelques années seulement. Al-Jazeera, la première plate-forme d'information qatarie à destination du reste du monde, reflète les prétentions de Doha en matière de soft power. Fin 2019, Facebook informe le média qu'il sera désormais estampillé « contrôlé par un Etat » dans le cadre de la nouvelle politique du réseau social américain contre les «fausses informations». Le réseau qatari a protesté auprès de Facebook, craignant «un dommage irréparable à sa réputation journalistique», surtout que la production d'Al-Jazeera sur YouTube est déjà présentée comme financée par le Qatar. Pour le moment, Facebook n'a pas choisi de passer à l'acte, ce qui interroge grandement. «Depuis l'avènement du cheikh Tamim, la politique étrangère du Qatar a connu une nouvelle phase. Le pays s'efforce de construire des relations plus étroites avec ses voisins ; en évoluant vers un mode de décision plus technocratique, et des pratiques plus multilatérales. Ce changement de posture est encore entaché par le poids des inclinations personnelles de quelques parties qui veulent imposer leur empreinte dans la définition de la politique étrangère du pays», nous confie une source proche du dossier.