Les députés français ont largement adopté mardi, en première lecture, un projet de loi polémique contre le «séparatisme», visant l'islam radical mais décrié à gauche comme stigmatisant pour les musulmans et à droite comme trop «mou». Alors que 250 voix était nécessaire à son adoption à la majorité, 348 députés ont voté pour le texte «confortant les principes de la République» voulu par le président Emmanuel Macron, qui crée un délit de séparatisme, renforce le contrôle des associations culturelles et cultuelles, durcit les règles de l'instruction à domicile, réprime la haine en ligne... 151 députés ont voté contre, 65 se sont abstenus. En ligne de mire: éviter l'entrisme d'éléments jugés radicaux. Mais le sujet est sensible dans un pays où la place et l'organisation de l'islam constitue un sujet de crispation récurrent et qui est très marqué par une succession d'attentats jihadistes depuis le carnage en janvier 2015 au sein de la rédaction du magazine satirique Charlie Hebdo jusqu'à la récente décapitation en octobre d'un professeur, Samuel Paty. D'autant qu'il touche à des lois emblématiques de la République française, comme la loi de 1905 qui avait consacré la séparation de l'Église et de l'État, fondement de la laïcité française. L'exécutif a ainsi voulu de nouveaux outils pour financer les cultes, les inciter à ne plus dépendre de «financements étrangers». L'article sur l'instruction à la maison – et non pas en établissement scolaire, public ou privé -, qui concerne aujourd'hui 62 000 enfants, a particulièrement fait débat. Il durcit les règles, en passant d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation, accordée pour des motifs définis. «Notre pays est malade d'un séparatisme dont le premier d'entre eux, l'islamisme, gangrène notre unité nationale», avait déclaré le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin en ouverture des débats, avant d'accuser, la semaine dernière, la présidente du parti d'extrême droite Rassemblement National, Marine Le Pen, candidate à la présidentielle de 2022, d'être plus «molle» que la majorité dans la lutte contre l'islamisme. «Reculade politique» À quinze mois de la prochaine présidentielle, les députés de la majorité présidentielle ont défendu un texte «d'équilibre», alors que les oppositions l'ont jugé soit faible, soit à côté de la cible, ou encore répressif et sans volet sur la mixité sociale ni le racisme. Pour ses opposants à gauche, il est synonyme de restrictions des libertés, propose une vision étriquée de la laïcité, quand certains articles ne sont pas tout simplement superfétatoires, se surajoutant à des textes existants. La gauche radicale de LFI fermement opposée au projet a dénoncé la «stigmatisation des musulmans». À l'inverse, d'autres arguent que les Français restent dans le «déni» face à l'islam radical, regrettant par exemple un nouvel échec à introduire des amendements sur le port du voile – un débat revenant régulièrement depuis la fin des années 80. L'opposition de droite Les Républicains (LR) souhaitait notamment l'interdire à l'université et pour les accompagnatrices scolaires, au nom de la lutte contre «une forme de prosélytisme» et un «symbole d'asservissement». Le patron du groupe LR – qui a voté contre à la quasi-unanimité -, Damien Abad, a jugé le projet de loi «tiède», «mou», faisant l'impasse sur des thématiques telles que «les flux migratoires, la radicalisation dans les universités, à l'école, dans les prisons ou le sport». Marine Le Pen a reproché à la majorité une «reculade politique» face «à l'hydre islamiste qui s'infiltre partout». Le débat sur la laïcité et la place de l'islam en France est régulièrement alimenté par des polémiques sur le port du voile, intégral ou non, les créneaux réservés aux femmes dans certaines piscines ou la remise en cause de certains programmes scolaires, alors que le nombre d'habitants de confession ou de tradition musulmane sur le territoire métropolitain a très fortement augmenté depuis l'après-guerre, pour atteindre près de 9% de la population.