Marcher ou non, pour un 45ème vendredi consécutif, alors qu'un nouveau président est entré en fonctions ? La rue algéroise semble partagée vendredi matin, entre les plus déterminés, les partisans du dialogue avec le pouvoir et ceux qui veulent que la contestation s'organise autrement. Au marché Réda Houhou précédemment connu sous le nom de Clauzel, Akli, fonctionnaire de 55 ans, fait partie de ceux qui n'hésiteront pas : « je vais marcher jusqu'à ce que l'on obtienne une véritable démocratie. Je ne reconnais pas ce président », dit-il, en référence à Abdelmadjid Tebboune. M. Tebboune a été élu le 12 décembre lors d'un scrutin boycotté par le mouvement « Hirak » de contestation qui agite l'Algérie depuis février, et boudé par une majorité [60 %] de la population. Imène Samraoui, enseignante de 45 ans, ira elle aussi, après ses courses, « à la manifestation, comme chaque vendredi, pour faire pression sur le pouvoir ». « Il ne faut rien lâcher et exiger une période de transition » avec des institutions ad hoc, chargée de démanteler le « système » au pouvoir depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962, répète-t-elle. Le pouvoir a systématiquement balayé cette revendication, présentée par le « Hirak » depuis qu'il a obtenu en avril la démission d'Abdelaziz Bouteflika, après 20 ans à la tête de l'Etat. Et il a imposé durant huit mois comme seule voie de sortie de crise l'élection d'un successeur, un moyen perçu par le Hirak, comme une manoeuvre du « système » pour se régénérer. La mobilisation, exceptionnelle juste avant l'élection, a marqué le pas le 20 décembre. Et une foule impressionnante a accompagné mercredi jusqu'au cimetière le général Ahmed Gaïd Salah, maître du pays ses derniers mois, décédé d'une crise cardiaque, sidérant de nombreux contestataires pour qui il était le gardien du « système » décrié. Après avoir manifesté jusqu'au 13 décembre, Kamel, juriste de 45 ans, est désormais plus partagé. « Le gouvernement doit libérer les détenus d'opinion [personnes arrêtées dans le cadre du « Hirak », NDLR] (…) pour montrer ses bonnes intentions », estime-t-il. De son côté, « le Hirak doit s'organiser et dialoguer. Marcher, c'est bien. C'est une merveilleuse aventure, mais jusqu'à quand ? » Enseignant à Oran, Brahim, 50 ans, en vacances dans la capitale, hésite lui aussi : « je ne sais pas si je vais marcher. Même si je n'ai pas voté, il y a un président, il faut négocier maintenant, tant que le mouvement est fort ». Comme d'autres, la situation en Libye voisine, qui a motivé une réunion jeudi soir du Haut Conseil de sécurité (HCS), rassemblant les plus hautes autorités civiles et militaires, l'inquiète. « Le HCS s'est réuni, la situation est inquiétante aux frontières du pays », dit Ahmed Doudou, commerçant de 61 ans, sur le marché. « Il faut maintenant veiller à ce que la prochaine Constitution (promise par le président Tebboune, NDLR) reflète la volonté du peuple. Marcher n'a plus aucun sens pour moi. Mais, je respecte ceux qui continuent à le faire ». Saïd, chauffeur de taxi quinquagénaire lui non plus n'ira « pas marcher »: « les élections ont eu lieu. il faut dialoguer maintenant ». A la boulangerie, Faroudja, retraitée de 65 ans, veut que le « Hirak », mouvement sans structure formelle, s'organise et agisse différemment. « J'ai marché les premiers mois mais plus maintenant. Pour moi, la phase 2 du Hirak, c'est s'organiser pour être une force de changement », explique-t-elle. Selon elle, « les étudiants doivent élire des représentants, les syndicats doivent mieux s'organiser », les gens doivent « se réunir, discuter et s'organiser, au lieu de marcher quelques heures et rentrer chez eux ». « C'était bien, mais maintenant il faut avancer ».