Le Maroc me surprendra toujours, et les Marocains encore plus. Moi qui refuse obstinément depuis toujours d'accorder une quelconque «spécificité» à notre pays, je suis obligé de reconnaître aujourd'hui, plus qu'hier et, hélas, moins que demain qu'il y a sûrement quelque chose de vrai sur ce qu'on raconte sur nous. Oui, nous sommes probablement «exceptionnels». Sinon, comment expliquer qu'au moment où des pays plus développés que nous, plus évolués que nous, plus modernes que nous, plus démocratiques que nous, plus futés que nous, et, c'est vrai aussi, plus aidés et soutenus que nous par leurs amis communautaires et continentaux, tirent aujourd'hui la langue jusqu'aux genoux, genoux qu'ils ont posés à terre depuis le jour où ils ont pigé qu'ils n'ont plus que ça à faire… comment expliquer, vous demandais-je, qu'au même moment, nous , les «pauvres», nous vivons, ostentatoirement, une vie de riches ? Si je vous pose cette question qui ne peut paraître saugrenue qu'aux incrédules comme moi, c'est parce que, je vous le jure, je n'ai aucune idée de la réponse. J'ai essayé de chercher le secret de cette anachronique situation, notamment dans les trucs mystiques et métaphysiques qui règlent une bonne partie de notre comportement social, mais je n'ai rien trouvé d'anormal. La richesse dont je vous parle, n'est pas virtuelle ou qu'apparente, mais c'est une richesse bien réelle et tout-à-fait touchable. Non, je ne vais pas vous parler des paniers et des caddies pleins à craquer que vous voyez depuis quelques jours sortir des marchés et des supermarchés à longueur de journée, du lever du soleil jusqu'à son coucher ! Non, ce n'est pas de ça qu'il s'agit. Ca, disons que c'est un phénomène épisodique qui revient tous les ans à pareille époque et qu'on peut expliquer par une envie boulimique chez tous ceux qui gagnent le minimum d'acheter un maximum pour se remplir la panse sans digérer et impressionner tous ceux qu'ils n'arrivent pas à blairer. Cette attitude capricieuse coûte sûrement très cher, surtout pour ceux qui n'ont pas beaucoup de sous, mais, paraît-il, qu'est-ce que ça fait du bien à leur moral ! Moi, je veux parler des autres dépensiers sans compter. Tenez ! Ouvrez votre fenêtre et admirez toutes ces voitures rutilantes qui circulent toutes plaques neuves dehors. Allez voir du côté des ports et des aéroports, et comptez, non, ne comptez pas car vous n'y arriverez pas, combien il y a de voyageurs à destination de je ne sais où et avec le fric de je ne sais qui, et, surtout, je ne sais comment. Enfin, allez faire un tour dans les magasins chics et les Malls choc, mais attendez-vous à voir des gens jaloux ou envieux comme vous et moi tomber en syncope devant tant d'étalages et tant d'emplettes sans marchandage. Les mercaticiens appellent ça «les achats impulsifs», alors que «convulsifs» aurait été plus approprié. Alors, comment expliquez-vous tout ça ? D'où vient tout ce fric et comment font-ils pour le gagner. Moi, j'aime bien ceux qui mettent sur le pare-brise arrière la mention bien en vue : «Dalika mine fadli Rabi» (ça, c'est grâce au Bon Dieu), mais j'aimerais bien qu'ils me disent ce qu'ils ont fait de bien pour mériter cette récompense divine. Bon, moi, je ne suis pas parfait-parfait, mais je suis sûr que eux non plus. Blague à part, j'ai voulu me confier à vous aujourd'hui car je suis dans le brouillard. Je ne comprends plus rien. Pour être très franc avec vous, je crois comprendre d'où vient tout ça, mais, vraiment, je n'arrive pas à m'y faire. En vérité, je ne sais pas, ou bien plutôt, je ne peux pas le faire. Faire quoi ? Justement, je ne sais pas, sinon, je ne vous aurais pas posé autant de questions. Bon week-end les chanceux, et bonnes prières les autres.