C'est chaque année la même histoire: à la veille du sacré mois de Ramadan, on nous rabâche du matin au soir que «les marchés sont bien achalandés». Traduction : on n'a rien à craindre car on ne manquera de rien. Vous l'aurez compris, c'est bien des produits alimentaires, et rien que les produits alimentaires qu'il s'agit. Le Ramadan c'est, théoriquement, le mois où, du lever du soleil jusqu'à son coucher, on doit, autant que faire se peut, s'empêcher de s'alimenter. Je ne vais pas vous faire un cours de théologie — je ne suis pas très éclairé, et il y a déjà assez d'illuminés comme ça — , mais au lieu de ne penser qu'à se remplir la bidoche, on devrait plutôt en profiter pour purifier son corps trop rassasié, et, tant, qu'à faire, son âme pas mal perturbée. En attendant, ce qui reste essentiel, aussi bien pour le peuple affamé que pour les officiels, c'est que «les marchés sont bien achalandés». D'accord, mais avec quoi, on va payer tout ça. En effet, il est de notoriété publique, question économie, ça ne va pas des masses, surtout, d'ailleurs, pour les masses. Je sais ce qu'on va encore me rétorquer : quand on est pieux, on ne compte pas. D'accord, mais, quand je vois ce que mes concitoyens dépensent sans penser pour leur panse, je me dis qu'à un moment ou un autre, ils vont être obligés, comme on dit si bien chez nous, de «faire les comptes avec leurs côtes». C'est mathématique. Vous connaissez la théorie des vases communicants ? C'est simple : ce que vous enlevez d'un côté, se retrouve aussitôt dans l'autre. Et bien, le Ramadan, c'est un peu pareil : ce que vous sortez de votre poche, vous allez le retrouver, sous une forme ou une autre, dans votre frigo, mais pas pour longtemps. Le soir arrivé, et arrivés les ventres affamés, le frigo se vide à vue d'œil. Et, le lendemain, rebelote ! C'est vrai, «les marchés sont bien achalandés», mais avec quoi, payer tout ça ? Je sais qu'il y a les crédits, les banques et tout ça, mais quand on est un peu rigoureux, on doit redouter le retour du balancier, et essayer d'être un tant soit peu parcimonieux. Sinon, les remboursements, si remboursements il y a, vont être laborieux. Je vous dis tout ça, mais, entre nous, j'ai comme l'impression que je prêche dans le désert. En effet, je sais que depuis que le monde est monde, et pour être plus précis, depuis que le Ramadan est Ramadan, on tourne tous en rond autour de ce cercle vicieux : économiser pour dépenser plus, jeûner pour manger plus, et emprunter pour rembourser ou pas rembourser plus. Bon, je ne vais pas vous casser le moral. En plus, avec cette chaleur suffocante et ces éternelles émissions de télé qui se veulent marrantes alors qu'elles sont assommantes, je crois qu'on est tous bien partis, encore une fois, pour passer un Ramadan de tonnerre. Il y a cependant un point positif : on va pouvoir se reposer durant tout un mois puisqu'on sait que durant le Ramadan, boulot et dodo s'entendent à merveille. Je sais que ca tombe bien puisque la majorité de ceux qui travaillent sont en vacances. Justement, si les autres ne bossent pas non plus, avec quoi on va payer tout ça ? En attendant d'avoir un jour une réponse convaincante, j'ai une dernière question à vous poser : pourquoi avoir attendu le dernier jour pour revenir à l'heure normale ? Comment ? Quel est le problème ? Le problème, mes chers amis, c'est que cette année, le premier jour du Ramadan va avoir une heure de plus. Ce n'est pas grave, me diriez-vous, puisque «les marchés sont bien achalandés . Alors puisque c'est comme ça, bon Ramadan à tous les grands et bon appétit à tous les petits.