Un syndicat peut être un bon partenaire social. Son ennemi n'est pas le créateur d'emploi, mais plutôt le chômage. Au Maroc, tout le monde semble avoir assimilé la leçon. Rien ne vaut la concertation. Encore faut-il que tous les partenaires en soient conscients. Un syndicat est-il synonyme de confrontation avec le patronat ? La question trouve sa légitimité dans ce qui a caractérisé pendant longtemps les rapports entre les deux parties. La conception des uns de l'action syndicale tranche avec la perception des autres, jaloux qu'ils étaient pour leur machine de production. Cette situation a fait du syndicalisme au Maroc non pas un élément à part dans la chaîne de production des richesses mais un facteur accusé de blocage de toute cette chaîne. La revendication syndicale, propre au mode libéral, est devenue synonyme de subversion, de communisme et de casse. L'Union marocaine du travail, créée le 20 mars 1955, dont les fondateurs ont aiguisé leurs armes dans la lutte contre le protectorat, a été longtemps considérée par les patrons marocains comme leur ennemi potentiel numéro un. Il faut dire aussi que nombre de ses dirigeants avaient cette vision du syndicalisme qui veut se substituer à l'activité politique. La création de l'Union générale des travailleurs du Maroc, affiliée au Parti de l'Istiqlal, n'a pas pour autant permis de rectifier cette image. Le poids de nouveau syndicat était minime. Et la naissance de la Confédération démocratique du travail (CDT), en 1978, a ravivé davantage cette confusion des genres. Le discours tribun de Noubir Amaoui, conjugué aux rapports tendus qu'avait l'Union socialiste des forces populaires nouvellement créée, avec les pouvoirs publics, a fait qu'au lieu que la CDT apporte une touche de vrai syndicalisme, basé sur la négociation, elle a renforcé les sentiments de méfiance de part et d'autre. À tel point qu'une réunion d'un bureau syndical avec un patron d'une petite fabrique dans un patelin reculé est devenu un événement qu'il faut signaler, par tous les moyens et monter en épingle comme un fait majeur ou au moins un fait d'armes qui signe une victoire sur l'ennemi. L'ambiance a changé de par le monde. Et l'effondrement du bloc de l'Est a permis de revoir les choses sous un autre angle. La mondialisation aidant et les accords du Gatt ont fait le reste. Une grève dans une sucrerie marocaine, par exemple, peut être bénéfique pour l'économie du pays. Le sucre importé revient moins cher que celui produit localement…Les exemples foisonnent et la mentalité des syndicalistes marocains a changé. Et depuis un certain temps, on assiste plus à la prédominance de la notion de concertation sur celle de plus en plus décalée de la confrontation… Il faut dire aussi que l'avènement du gouvernement de l'alternance, avec deux syndicats principaux de son côté -la CDT et l'UGTM-, a permis de régler des différends et d'ajourner des débrayages imminents. Malgré le fait que les centrales syndicales ont pour plus de distance par rapport au gouvernement, il n'en demeure pas moins intéressant de constater que le dialogue n'a presque jamais été rompu. Et les mouvements de grève observés par les syndicats n'ont jamais dépassé le cadre réglementé... On est en droit de dire qu'aujourd'hui, la pluralité syndicale a servi à adoucir les mœurs dans ce domaine à hauts risques. Elle a aussi permis au patronat d'avoir plus d'interlocuteur. Si aujourd'hui on évoque de plus en plus la notion d'entreprise citoyenne, il est plus urgent que les deux composantes de l'entreprise soient en mesure de se respecter mutuellement et qu'à la confrontation, tout le monde privilégie la concertation. Toute une culture.