Depuis plus d'une décennie, la justice marocaine n'a exécuté aucun condamné à mort même si elle continue à prononcer cette sentence, comme récemment à Casablanca. Une certaine retenue qui place le Maroc parmi les pays les moins zélés en la matière. Un débat de société qui s'interroge sur la légitimité d'administrer la mort par la justice des hommes. Dans l'assistance, les chuchotements cèdent la place au silence à la salle numéro 7. Tout un chacun imagine le moment de l'exécution. Pour les uns, ce sera un moment horrible pour le condamné. Alors que d'autres pensent que « c'est dans l'ordre des choses et que celui qui tue doit être tué ». D'autres encore souhaiteraient qu'il puisse, si cela était possible, être tué à plusieurs reprises. Car ils ne conçoivent pas que l'on puisse tuer un de ses parents, même s'il est méchant, voire cruel. Car, c'est bien d'une affaire de parricide qu'il s'agit. Ahmed est l'aîné de six enfants. Né en 1971 au quartier Al Amal à Sid El Bernoussi, il n'a pas fait de brillantes études, il s'est arrêté au primaire. Un résultat logique pour un enfant qui a grandi dans une famille vivant sous la dictature d'un père cruel, méchant et brutal. Un père qui n'a jamais songé –puisque ce n'est pas sa nature - à être clément ou indulgent envers ses enfants et son épouse qu'il traitait comme des esclaves. Aucun d'entre eux ne peut, ni ne doit prononcer un seul mot devant lui. C'est lui qui décide, qui prend l'initiative, qui donne les ordres. Personne n'a le droit de protester. Si l'un d'eux ose un jour dire non, c'est le renvoi immédiat à la rue. Il est le maître dans cette famille Les jours passent et la cruauté du père va crescendo, dépassant toutes les limites du supportable. Et un beau jour, il décide de les abandonner à leur triste sort et il s'en va. Pas loin. Puisqu'il décide d'occuper tout seul un autre étage de la demeure. Il ne veut plus d'eux. Il les considère comme des fardeaux improductifs. Des boulets qu'il traîne. Quatre ans plus tard, le père n'adresse toujours pas la parole ni à ses enfants, ni à son épouse. Lorsqu'il les rencontre dans l'escalier, il les prend à partie pour les insulter et leur cracher au visage. Il les hait. Personne ne comprend les raisons d'un tel ressentiment. Ahmed se rend à Agadir, travaille dans un chantier de construction, envoie de temps à autre quelques sous à sa mère. Mais une idée lancinante lui hante l'esprit. « Je dois me venger, pour ma mère, mes frères et sœurs, et pour moi-même ». Il n'a jamais pu digérer le fait d'être noyé dans une misère extrême alors que son père n'est pas dans le besoin. Il dispose d'une source matérielle qui ne se tarit jamais : les loyers de ses maisons. Après un malentendu avec son employeur, Ahmed perçoit ses indemnités et boucle sa valise. C'est à ce moment qu'il s'aperçoit de la présence d'une hache appartenant à un collègue. Il rouvre la valise, y met la hache et se dirige vers la gare routière, d'où il prend un car en direction de Casablanca. A mesure que les kilomètres défilent, l'idée de vengeance fait son chemin dans l'esprit du jeune homme. Arrivé chez lui, il embrasse sa mère et ses frères et sœurs. Leur situation n'a pas changé. Ahmed ouvre sa valise, prend la hache, la met dans un sac en plastique et guette son père dans l'escalier. C'est l'après-midi, un peu avant l'appel de la prière d'Addohr, le moment de l'arrivée du père. La porte de la maison est ouverte. Ahmed attend la hache sous son aisselle. Son père le voit et se dirige vers lui, mais Ahmed le repousse violemment, et dans le même mouvement lui assène un premier coup de hache sur la tête. D'autres coups suivent. Sans un cri, le corps du père s'affaisse. Le fils nettoie le sang, tire le cadavre dans une chambre, ferme la porte et quitte les lieux. « …Je l'ai tué, je lui ai asséné trois coups de hache… », déclare Ahmed devant la Cour. Mais ce n'est pas tout, car il révélera quelque chose qu'il n'a pas avoué devant les enquêteurs : « un jour, mon père m'a donné une boisson gazeuse… Une fois que je l'ai bue, j'ai perdu connaissance… Lorsque je me suis réveillé, je me suis aperçu que mes mains étaient ligotées et que mon pantalon m'avait été retiré…Mon père m'a violé, Monsieur le président… et depuis, il m'appelait Aïcha… j'ai décidé de le tuer…Non je ne regrette pas mon geste ». Le jeudi 25 octobre 2001, le verdict est tombé.