Il y aura toujours des esprits critiques qui feront remarquer que l'Académie française n'est plus ce qu'elle a été, et que les nouveaux impétrants n'ont pas la dimension de leurs prédécesseurs. Il n'empêche! Alors que la plupart des grandes institutions françaises – à commencer par l'Assemblée nationale – rechignent à faire place aux Français issus des peuples du sud de la Méditerranée, une des plus vieilles institutions de la Nation française compte désormais 5% de ses membres – deux sur quarante – qui sont des enfants du monde arabe. Tout récemment, en effet, le romancier d'origine libanaise Amin Maalouf a été élu au premier tour, par dix-sept voix sur vingt-quatre suffrages, au siège de l'anthropologue Claude Lévi-Strauss, une des plus grandes figures intellectuelles du XXème siècle. Il rejoint, ainsi, une autre romancière venue de la culture arabe, d'origine algérienne : Fatima Imalhayene, connue sous le nom de plume de Assia Djebar, élue en 2005. On se rappellera que l'Académie française a été créée en 1635, sous le règne du roi Louis XIII, par son ministre le cardinal de Richelieu. Cette compagnie de lettrés a, depuis trois siècles et demi, la vocation de veiller sur la langue française, de la rendre pure et compréhensible par tous, et d'en fixer les règles. Depuis le XVII ème siècle, elle publie, à cette fin, un dictionnaire. L'Académie est composée de quarante membres élus à vie par leurs pairs (d'où leur surnom «d'immortels»). Le profil des deux académiciens mérite qu'on s'y arrête. Il témoigne, en effet, d'une diversité révélatrice de la formidable pluralité du monde arabe. Une pluralité ou une diversité trop souvent niée à l'intérieur du Maghreb comme du Machrek. Aussi désuets peuvent-ils paraître, les électeurs de la vénérable institution n'en donnent pas moins, par leurs choix, une leçon aussi bien à la France qu'à nos pays arabes! Fatima Zohra Imalhayene, qui a choisi pour nom d'écrivain celui de Assia Djebar, est née à Cherchell, en Algérie, en 1936. Elle est berbère par son père (son patronyme en témoigne), arabe par sa mère. Du côté maternel, elle compte parmi ses aïeux Mohamed Ben Aïssa el-Barkani qui fut le khalifa de l'émir Abd El-Kader à Médéa dans les années 1830. Son arrière grand-père maternel, le cheikh Malek Sahraoui el-Berkani, caïd des Beni Menaceur, a pris la tête, en juillet 1871, d'une rébellion contre l'occupation française au cours de laquelle il a trouvé la mort. Elle vit entre les Etats-Unis, la France et l'Algérie. Amin Maalouf, lui, est né en 1949 à Beyrouth. Il a passé les premières années de son enfance en Egypte, où vivait son grand-père maternel. Quand il rejoint le Liban, la guerre civile éclate. Cela le conduira à quitter sa patrie pour la France. Journaliste de formation, c'est comme écrivain qu'il a donné toute sa puissance créatrice. Amin Maalouf appartient à une grande famille arabe chrétienne. Chrétien dans le monde arabe, Arabe en Occident: ce statut de minoritaire l'a conduit à s'intéresser tout particulièrement aux questions d'identité depuis un célèbre ouvrage publié en 1983 : «Les croisades vues par les Arabes». Assia Djebar et Amin Maalouf témoignent tous les deux d'une «littérature-monde» en français qui est constructrice de notre avenir.