Même avec une réaction différée, l'impression est installée que l'affaire Lies Hebbadj vient d'obliger le CFCM de sortir de son bois. Il a fallu prendre son temps, réfléchir intensément, tourner son communiqué trois fois dans ses tuyaux pour prendre une position claire sur tout ce qui a été dit par le boucher de Nantes, Lies Hebbadj, accusé par le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux de polygamie et d'escroquerie à la sécurité sociale. L'homme, pour se défendre, avait tenté de faire croire que les femmes qu'il fréquentait avec assiduité n'étaient pas ses épouses légitimes, mais ses maîtresses. Lies Hebbadj avait poussé l'ironie jusqu'au point d'affirmer que les «maîtresses» n'étaient pas interdites ni par le christianisme, ni par l'Islam. Et que s'il fallait «déchouer», pour reprendre cette erreur de conjugaison devenue brusquement célèbre, de leur nationalité tous ceux qui avaient des maîtresses. Sur le coup, Lies Hebbadj, barbe fondamentale, cuir banlieue, kamis pakistanais et sourire malicieux de celui qui vient de jouer un sale tour à ses voisins, occupait totalement la scène. Il l'a fait avec d'autant plus de facilité que son look sied aux préjugés et cadre bien avec l'image construite sur les musulmans. Une obscure source d'angoisses et de fantasmes. Sur le coup, cette idée de maîtresses tolérée par l'Islam est restée sans réponse. Elle fut accréditée dans la presse par les nombreuses allusions à une religion qui, dans sa genèse, fut hédoniste et extrêmement tolérante, avant de se calcifier par un radicalisme artificiel. Le Conseil français du culte musulman que dirige le Franco-Marocain Mohamed Moussaoui a réagi par un communiqué qui «condamne fermement les propos mensongers sur la légalité en Islam des «maîtresses» et qualifie ces allégations d'offensantes et d'insultantes pour la religion musulmane». C'est une réaction assez inédite. Il n'est pas dans les habitudes d'un conseil aussi institutionnel, aussi lourd d'être aussi réactif à une question d'actualité, doublée d'une interrogation à caractère religieux. Même avec une réaction différée, l'impression est installée que l'affaire Lies Hebbadj vient d'obliger le CFCM de sortir de son bois. Il fallait apporter un désaveu cinglant à la posture d'un homme comme Lies Hebbadj qui invoque les perceptes de l'Islam, souvent dénaturés, pour couvrir son action et justifier ses choix. Avec au passage une obligation de préciser le positionnement du CFCM à l'égard d'un sujet aussi corrosif que la polygamie. Le CFCM rappelle la responsabilité pénale des imams qui couvrent de telles pratiques, sachant que la polygamie est prohibée en France. L'objectif d'une telle démarche, même si elle est limitée par l'effet presque anonyme et impersonnel d'un communiqué, est de fixer des marqueurs à un débat qui partait en vrille. En adoptant une posture de défi et en croisant ouvertement le fer avec Brice Hortefeux, Lies Hebbadj prenait le risque de devenir un modèle pour d'autres jeunes en rupture ou déshérence. Mais cette affaire dans son ensemble a une conséquence immédiate sur le CFCM. Lancé à la base pour fournir des interlocuteurs crédibles aux pouvoirs publics, le voilà qui se trouve frontalement «challengé» par de brûlantes questions sociales. Sa survie et son utilité dépendront de la qualité des réponses qu'il devra apporter à d'autres interrogations qui se profilent à l'horizon. Avec obligation de mettre sa timidité et ses réserves au placard et se mettre à produire du «sens».