Taoufiq H'jira, ministre de l'Habitat, annonce la préparation d'un projet de loi qui considérera les responsables du développement de l'habitat insalubre comme des criminels à part entière : «Il est inconcevable que le contribuable paie chaque année des sommes astronomiques pour corriger les erreurs de ceux qui sont responsables de cette situation». ALM : Quelle est votre réaction suite aux déclarations Royales concernant la propagation inquiétante des bidonvilles ? Taoufiq H'jira : Le discours Royal nous a tous interpellé. Ministres, gouverneurs, présidents de communes et citoyens. Nous sommes tous concernés et responsables. Certes, la pauvreté explique l'existence des habitats insalubres. Mais leur prolifération est le résultat d'une spéculation incroyable. Figurez-vous qu'aujourd'hui, dans la "bourse des bidonvilles", une baraque coûte 200.000 DH, alors qu'un logement social construit par l'Etat est vendu à beaucoup moins cher. En fait, il y a deux vitesses, celle de l'action de l'Etat et celle de la prolifération de l'habitat insalubre. Cette dernière est beaucoup plus rapide. Aujourd'hui, quel est l'état des lieux ? La situation est inquiétante. 500 hectares sont aujourd'hui occupés par l'habitat insalubre. Comme l'a souligné SM le Roi Mohammed VI, et les chiffres le prouvent, il y a une recrudescence des bidonvilles. 900.000 familles sont concernées, soit 5 millions de personnes environ. Ce qui revient à dire qu'un Marocain sur trois vit dans un habitat insalubre. Chaque année, il y a 15.000 nouveaux ménages installés dans les bidonvilles. Seuls 5.000 d'entre eux sont pris en charge par l'Etat. En outre, 25.000 familles qui s'installent dans des habitats clandestins chaque année. L'Etat n'en reloge que 15.000. Au total, 20.000 ménages par an ne sont pas du tout touchés par l'action publique. J'utiliserais une métaphore pour vous expliquer ce phénomène. L'action de l'Etat en matière de résorption de l'habitat insalubre, ressemble au versement de l'eau dans un récipient troué. L'eau n'arrive jamais au ras du récipient. Les trous sont la corruption, la mauvaise gestion et la pauvreté. Combien coûterait la mise en œuvre de la stratégie du ministère ? Avant tout, il faut arrêter l'hémorragie. Sans ce préalable, aucune stratégie ne sera efficace. Pour ce qui est des coûts, il nous faut, tenez-vous bien, 32 milliards de DH sur 5 ans. C'est une somme énorme, l'équivalent de trois fois et demi l'investissement du port Tanger-Méditerranée. Il est inconcevable que le contribuable paie chaque année des sommes astronomiques pour corriger les erreurs de ceux qui sont responsables de cette situation. Je peux donc vous annoncer que nous avons préparé un projet de loi à travers lequel les personnes responsables du développement de l'habitat insalubre seront considérées comme des criminels à part entière. C'est une première au Maroc. Finie donc l'ère de l'impunité. La sanction peut aller jusqu'à 5 ans de prison ferme. Cette loi aura-t-elle un effet rétroactif ? Je ne suis pas habilité à me prononcer de manière catégorique sur ce sujet. Je ne suis ni un magistrat, ni le ministre de la Justice. Mais, en ma qualité de membre du gouvernement et compte tenu de ma responsabilité en son sein, je suis contraint d'appeler à ce que désormais tous les responsables du développement de l'habitat insalubre soient jugés. Mieux encore. Je pense que les présidents de communes qui s'avèrent être responsables de ce phénomène, doivent être interdits de se présenter aux prochaines élections communales. Le directeur d'agence urbaine n'est pas en reste. Si le nombre de bidonvilles augmente lors de son mandat, il doit rendre compte. Même chose pour tous les responsables de l'administration concernés par ce secteur. Comment comptez-vous faire, alors que toutes les autorités ne jouent pas le jeu ? Tout d'abord, je tiens à préciser que l'action du gouvernement s'inscrit dans le temps. Les mesures énoncées dans le programme gouvernemental reflètent fidèlement la vision Royale sur ce dossier. L'Habitat est dans ce gouvernement, directement rattaché au Premier ministre. C'est une chance institutionnelle inouïe car l'action en matière d'habitat doit être transversale. Les ministères des Finances, de l'Intérieur, des Habous et de l'Agriculture sont concernés, pour ne citer que ceux-là. Si la solidarité gouvernementale joue pleinement, on peut facilement résoudre le problème de l'habitat insalubre. En revanche, si chacun observe un cloisonnement, cette mission ne peut jamais aboutir.