Sidi Ifni. Il y a à peu près une année, j'ai poussé par curiosité mes pérégrinations dans le sud du Maroc au-delà d'Agadir. Cela faisait pratiquement un quart de siècle que le pays touristique s'arrêtait pour moi au pied de la casbah d'Oufella. La conurbation Agadir-Inzegane, que je découvre, rentrait dans l'ordre naturel de la croissance démographique. En revanche, Tiznit, quatre-vingt kilomètres plus loin, me surprit. Agréablement. La ville que j'imaginais encore comme une bourgade oubliée du développement, en dépit de la présence marquante du palais de Moulay Hassan 1er qui avait restauré la cité à la fin du dix-neuvième siècle, offrait les signes d'un essor notable et se présente désormais comme un pôle urbain incontournable pour le développement de la région Souss-Massa. La route qui mène de Tiznit à Guélmim, dans son premier tronçon, laisse la même impression d'avenir tant elle recèle de potentiels touristiques en développement visible. Mirleft, à une soixantaine de kilomètres de là, en est la démonstration éclatante. C'est désormais un éden pour les nageurs, un endroit de rêve pour les fanas de la pêche à la ligne et une nouvelle vague très en vogue pour les surfeurs et les épris de la planche à voile. Le plaisir des sens emballés par la sérénité des paysages se poursuit quelques kilomètres plus loin, jusqu'à la plage du «Marabout» qui marquait au temps du protectorat la frontière entre la zone française et la zone espagnole. Là, brusquement l'enchantement fait place à un sentiment de malaise, une sensation de mal-être. Sidi Ifni, à une trentaine de kilomètres au sud de Mirleft, offre l'image d'une ville sur laquelle le temps a suspendu son vol. En contraste total avec le dynamisme que connaît la région à quelques encablures en avant, elle languit hors temps et hors champ. Pourtant elle ne manque pas d'atouts. Port de pêche assez important où les chaluts viennent décharger leurs précieuses prises de sardines, un «paseo maritimo» rappelant le passage espagnol et qui pourrait être assez agréable avec un rien de soins, une plage mal entretenue mais qui offre un potentiel balnéaire de qualité, en somme une ville à l'architecture coquette et aux possibilités assez fortes restée en rade du mouvement. Les causes ? La nature du protectorat, espagnol ici, français là-bas ? L'implication de l'investissement français dans la région de Mirleft tandis que les Espagnols restent indifférents, au plan économique du moins, à leurs anciennes zones d'occupation ? Le caractère des populations opposant un certain nomadisme sahraoui à l'entregent soussi un peu plus haut, au nord de la ville ? Négligence de l'Etat et oubli des gouvernements ? Toutes ces causes et bien d'autres, mais rien, ne saurait justifier, de part et d'autre, la brutalité des affrontements dont la ville a été le triste théâtre. Sidi Ifni. Avec Bensmim, Aghbalou, A'nasra, Bhalil, Sefrou, Missour… le Maroc assiste à une multiplication des foyers d'incidents et d'affrontements entre les populations et les forces de l'ordre. Ils touchent, contrairement aux quatre dernières décennies du siècle passé, essentiellement des périphéries lointaines ou isolées. Trop tôt pour conclure que le dynamisme que connaissent les grandes agglomérations les mette désormais à l'abri. Mais certainement pas trop tard pour relever que les régions touchées sont celles qui sont restées en marge de la dynamique socio-économique des huit dernières années. Les visites du Souverain aux villes de l'Atlas ont remis cette région au centre des préoccupations. Si les tristes évènements de Sidi Ifni, loin des enchères politiciennes actuelles, amènent le gouvernement à travailler pour sortir cette région de l'ornière, on pourra toujours dire à quelque chose malheur est bon.