Elle se bat contre toutes les formes de discrimination et de maltraitance. Rabia El Madbouh, ancienne colonelle, s'est lancée dans l'assistance sociale par envie de changer le monde des femmes. Un petit bout de femme court dans les couloirs du centre d'écoute « Nejma ». Ici, dans cette aile de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM-Rabat), réservée aux femmes victimes de violences, Rabia El Madbouh, ancienne colonelle, a pris un engagement ferme : aider ses semblables. Trop dire, certes, mais, parfois, les mots pansent les souffrances. Et c'est cela qui transforme Rabia en une femme pas comme les autres. D'ailleurs, elle n'est pas comme les autres. Son destin, elle l'a forcé pour sortir d'un monde obscur où l'on cachait les femmes marocaines. «Il n'était pas question, pour moi, de quitter l'école et de rester à la maison pour m'occuper du ménage. Alors, pour pousser mon père à accepter mon choix, j'ai carrément observé une grève de la faim !», raconte fièrement cette sexagénaire. Comme si elle revivait, tout d'un coup, son enfance, ses émotions rebondissent et Rabia ne peut plus s'empêcher de crier sa colère : «C'est une discrimination que de condamner l'avenir des filles parce qu'elles sont des filles ! Je n'ai jamais compris cela ni accepté cette situation ». Le père finit par céder à la pression de la «gréviste» qui remporte haut la main son pari. A cette époque (années 50), Rabia, qui n'avait qu'une dizaine d'années, aurait pu se faire appeler «la révoltée ». Déterminée, elle n'hésite pas à présenter des demandes de bourses pour aller plus loin, pour étancher sa soif du savoir. C'était, pour elle, une question d'honneur et de reconnaissance pour la femme marocaine. Rabia fronce ses sourcils et quitte sa ville natale, Safi, pour s'inscrire à la Faculté des lettres de Marrakech. Le départ d'une nouvelle aventure. Rabia dévore les études, mais son obsession dépasse le but de se confirmer. Elle suit une formation paramédicale de deux années et s'envole, ensuite, vers la France. «J'ai eu la chance d'étudier à la Sorbonne où j'ai eu mon DEA en anthropologie sociale. Je me suis destinée à être assistante sociale», dit-elle. Après avoir passé neuf années dans l'Hexagone, Rabia rentre au Maroc en 1975. Déterminée, comme toujours, à aider les autres, c'est en toute légitimité qu'elle fait du social son propre combat. «Ce qui m'a le plus marqué, dès le départ, ce sont les énormes problèmes médico-sociaux de la bonne majorité des personnes qui n'avaient aucune couverture sociale», confie-t-elle. Ces problèmes, Rabia en faisait siens au point de dépenser ses propres économies. «C'est trop dur de supporter de voir quelqu'un dans l'incapacité d'acheter un médicament pour sauver sa vie. Je n'ai pas pu poursuivre mon travail dans une association d'aide aux cancéreux à Rabat, parce que je ne pouvais plus financièrement et cela allait me rendre inutile», reconnaît Rabia. Une bataille perdue, mais de sa guerre, elle ne se rend jamais. Après avoir pris sa retraite d'assistante sociale, en 2004, c'est vers les femmes qu'elle se tourne. «J'ai aidé mes trois sœurs à s'instruire et je n'ai jamais oublié ma maman qui trimait dans la violence morale et nous ramenait pleins de bouquins pour que notre vie soit meilleure», confesse-t-elle. Rabia ne veut plus que les femmes soient des victimes et, c'est ce qui explique son soulagement de n'avoir jamais eu de filles : «j'ai souhaité ne pas en avoir, car la discrimination ne les épargnera pas». Mariée à un professeur d'agronomie, Rabia a deux fils qui sont en formation pour devenir médecins. Ils sont sa fierté et son espoir. Le métier de sauver des vies lui est très cher. Faute de ne pas pouvoir en faire de même, Rabia se contente d'apaiser les esprits et d'écouter les femmes, victimes de violences conjugales et autres. «Les Marocaines sont de plus en plus nombreuses à venir au centre. Mes collègues et moi les écoutons et les soutenons dans leur quête de la délivrance», explique-t-elle, tenant à préciser, tout de même, que la situation des femmes marocaines « va vers le mieux ». Pour Rabia, on ne peut trouver le bonheur qu'en étant libre et en accord avec soi. C'est le message qu'elle aurait envie de lancer, ce 8 mars 2007, à toutes les femmes du Maroc.