Adib Abdesselam, coordonnateur du Réseau de lutte contre le harcèlement sexuel au Maroc, explique la complexité du soutien aux victimes de ce type d'agression. ALM : Comment est défini le harcèlement sexuel au sein de votre réseau ? Adib Abdesselam : Au Réseau de lutte contre le harcèlement sexuel, nous pensons à tout acte d'agression de ce type quel que soit le lieu où il se produit. Nous ne nous référons pas à une définition juridique, mais ce qui nous intéresse, tout particulièrement, c'est le harcèlement dû à l'abus de pouvoir dans le milieu professionnel. Et dans notre société, compte tenu d'une culture qui prône la supériorité de l'homme et l'infériorité de la femme, le harcèlement sexuel est, presque toujours, perpétré par des hommes ayant un poste de responsabilité contre des femmes subalternes. Et le harcèlement sexuel revêt différentes formes qu'il n'est pas possible de limiter avec exactitude. Celui qui commet un acte de harcèlement sexuel peut recourir à de nombreux moyens en cas de refus de la victime en la menaçant de sanction ou en rendant sa tâche plus difficile au sein de l'entreprise. Il peut aussi lui offrir, en échange, une promotion ou une récompense. Le harcèlement sexuel transforme ainsi le cadre du travail en un lieu où les plus faibles sont déstabilisés et méprisés par leurs supérieurs. Et c'est ce que nous voulons dénoncer en soutenant les victimes.
Ne pensez-vous pas qu'en menant votre lutte contre ce fléau, vous condamnez, en même temps, une personne dont la culpabilité n'a pas été prouvée par la justice ? Notre travail peut, effectivement, avoir une lame à double tranchant. Nous en sommes tout à fait conscients au sein du réseau et nous ne cherchons aucunement à nous substituer à la justice. Notre réseau, initié par l'Association démocratique des droits humains (AMDH), est constitué de 13 organisations actives dans le domaine de la défense des droits de l'Homme. Avant de décider de soutenir une victime, nous nous assurons, tout d'abord, de la véracité de sa plainte. Nous l'écoutons et nous nous mettons en contact avec la personne incriminée, ses collègues et ses supérieurs et nous leur adressons des lettres. Si la plainte s'avère être fondée, nous saisissons la police, puis la justice dans le but de trouver des solutions à l'amiable, notamment par la présentation d'excuses à la victime. La bonne partie des cas que nous avons reçus s'est avérée crédible. Mais, nous avons, parfois aussi, découvert que la victime avait porté de fausses accusations pour régler ses comptes avec son supérieur. C'est pour cela que nous menons notre propre enquête avant de décider d'une démarche publique de protestation. Notre mission reste donc très sensible. Allez-vous vous constituer partie civile pour soutenir les victimes de harcèlements sexuels devant la justice ? La justice est là pour trancher et sanctionner les responsables des délits, notamment celui du harcèlement sexuel. Nous, au moyen de nos enquêtes, nous présentons les témoignages que nous avons recueillis pour que les victimes aient toutes les chances de leur côté. Le réseau ne se constitue pas partie civile, mais c'est lui qui assure l'appui juridique au profit des victimes en trouvant également des avocats volontaires. Quelles actions prévoyez-vous de mener dans un proche avenir ? Le réseau continuera à se battre contre le fléau du harcèlement sexuel au Maroc. Nous voulons soulever ce problème et appeler les victimes à sortir du silence, à dénoncer les actes qu'elles sont nombreuses à supporter par peur des sanctions. Nous voulons aussi que la justice soit impartiale face aux responsables des harcèlements sexuels quel que soit leur rang. C'est sur la sensibilisation de l'opinion publique et sur l'appui des victimes que nous fondons notre mission qui devra continuer dans cet esprit.