Déficit en encadrement dû aux départs volontaires, révision à la baisse du budget alloué à l'enseignement supérieur, difficultés financières en raison du coût de l'application de la réforme… Décidément, l'université n'affiche pas un bon état de santé. Le point avec Hafed Boutaleb Jouteï, président de l'Université Mohammed V-Agdal. ALM : La rentrée à l'Université Mohammed V-Agdal connaît cette année une baisse de 10 % du taux d'inscription. Cette baisse est-elle symptomatique du désintérêt croissant pour un enseignement supérieur jugé «stérile» ? Hafed Boutaleb Jouteï : Les 10% de baisse qu'ont connus les nouvelles inscriptions à l'université sont dues essentiellement à la baisse de la capacité d'accueil et d'encadrement de l'université due aux départs volontaires de 217 enseignants chercheurs sur 1200 (soit une baisse d'à peu près 16%). Cette baisse volontaire contraste avec la croissance du nombre des nouveaux inscrits constatés depuis l'application de la réforme en septembre 2003 (5 % par an). Ceci démontre contrairement un engouement pour les nouvelles filières. Il démontre aussi que l'opération des départs volontaires dans le domaine de l'enseignement supérieur a été inopportune et n'avait pas lieu d'être. Quant à qualifier notre enseignement supérieur de stérile, je me permets l'entière responsabilité de faire remarquer qu'au moment où dans les pays développés et les pays émergents on ne cesse de ramener de plus forts taux de tranches d'âge 18-24 ans à l'enseignement supérieur, de tels discours risquent de décourager étudiants et parents et hypothéquer par la même occasion l'avenir de notre pays étant donné que la formation supérieure est un élément essentiel dans le développement du pays. Parmi les branches qui ont enregistré le moins d'inscriptions, figurent la philosophie, la sociologie et la psychologie. Pourquoi ces branches ont-elles été particulièrement affectées ? N'est-ce pas là un indice sur le recul des sciences humaines au Maroc ? Le recul enregistré dans les inscriptions des branches sociologie, philosophie et psychologie, est dû essentiellement au manque de spécialistes dans le domaine d'une part et aux départs volontaires de certains enseignants de ces disciplines d'autre part. Il ne reflète aucunement le recul des sciences humaines au Maroc car en nombre de nouveaux inscrits à l'Université Mohammed V-Agdal, la Faculté des lettres vient au premier rang avec à peu près 40 %. En plus, sur les 23 filières accréditées au plan national qu'organise notre université, 12 sont des filières de sciences humaines. Dans l'une de vos récentes déclarations, vous avez affirmé que le « gouvernement ne s'est pas approprié la réforme universitaire ». Peut-on interpréter cette déclaration comme un aveu d'échec ? Les balbutiements de la réforme peuvent-ils être attribués uniquement au manque de moyens ? Au moment de l'élaboration de la réforme, tout le monde se posait la question quant à la réponse des organisations syndicales des enseignants chercheurs et des étudiants vis-à-vis de celle-ci, mais personne ne pensait que le gouvernement n'allait pas faire suivre l'adoption de la loi régissant l'enseignement supérieur adopté à l'unanimité au Parlement, faut-il le rappeler, par des mesures d'application adéquates de nature à donner à cette réforme qui révolutionne le paysage de l'enseignement supérieur de notre pays les chances de réussir. En effet, les budgets de fonctionnement des universités, salaires non compris, n'ont pas évolué, au contraire ils ont connu des baisses de l'ordre de 5 % par an. Malgré cela, les résultats obtenus par la réforme ne serait-ce qu'au niveau de la forte amélioration du rendement interne sont très encourageants. Nombreux sont ceux qui reprochent à nos facultés de former de futurs candidats au chômage. Sont-elles incapables de s'adapter aux exigences du marché de l'emploi ? Je pense qu'il faut cesser de dénigrer les universités tout d'abord parce qu'au sein de celles-ci se forme et se développe la plus grande partie de l'élite marocaine de demain. D'ailleurs, l'université marocaine a joué un rôle fondateur dans la formation des cadres actuels. Dans le domaine de la recherche, plus de 80 % de la production nationale est développée par les enseignants chercheurs des universités. De plus, nos facultés, écoles et instituts s'adaptent très bien à l'évolution du marché de l'emploi quand celui-ci est bien défini par des opérateurs économiques. Je ne voudrais pas donner comme exemple que la réponse des universités au programme off-shore de Casablanca. Ainsi, par exemple, sur la formation de 10.000 chercheurs à l'horizon 2010, les universités y participent avec plus de 50 %. L'autonomie financière et administrative de l'université est-elle une bonne chose pour vous ? L'université marocaine aujourd'hui ne bénéficie dans les faits ni de l'autonomie financière ni de l'autonomie administrative bien que la loi de janvier 2000 octroie ces deux formes d'autonomie à l'université. En effet, pour que l'université dispose de son autonomie administrative, il faudrait qu'elle puisse disposer de son personnel pédagogique, administratif et technique. Chose qui n'est même pas à l'ordre du jour du gouvernement actuellement. Quant à l'autonomie financière, l'université continue de recevoir une dotation annuelle de la part du ministère des Finances sans pouvoir discuter des modalités de répartition de cette dotation ni disposer d'une grille d'indicateurs de performance qui permette une meilleure distribution de celle-ci, ni d'un cadre contractuel qui précise les droits et les obligations de chaque partie. De même, les universités continuent de subir un contrôle financier qui entrave dans la plupart des cas la réalisation de leurs projets de développement.