La politique n'a jamais été un long fleuve tranquille. C'est la seule activité humaine où il est permis de flinguer ses propres amis. Avec le sourire, monsieur Lionel, lui, n'est pas le dernier des tontons flingueurs. Lionel est parti un soir de désastre. Un dimanche sombre pour la gauche française. A travers Lionel, les socialistes vont assister, impuissants, à leur exclusion de la course démocratique des présidentielles au profit de Le Pen. C'était une défaite inédite, violente, expéditive. Presque honteuse. Le retrait de Lionel fut aussi une décision inattendue et fulgurante. Diversement reçue et appréciée par les militants, elle fut pour les uns un acte chargé de dignité et de hauteur. Pour les autres, c'était une désertion d'un Général défait qui abandonne ses troupes engluées dans la déconfiture. Les socialistes se sont accommodés à ce départ impromptu. Ils ont depuis fait leur chemin sans avoir le sentiment d'être orphelins. Ils ont su se passer du poids d'une figure tutélaire. Ce qui leur a pas mal réussi. François Hollande n'a pas démérité en tant que patron. Brillant et talentueux, il a su, avec une détermination non dénuée de bonhomie, être un point d'équilibre et de rassemblement dans un parti où les désaccords tournent vite à la tragédie. Et si François peut se targuer d'avoir mené son camp vers plusieurs victoires, force est d'admettre qu'il ne s'est pas imposé comme l'évident et naturel leader de son parti pour la «mère des batailles». Cette carence a favorisé le développement d'ambitions diverses. Le Parti socialiste en est devenu une arène de taureaux fougueux. Un bocal étroit hébergeant des squales peu commodes. Cette configuration semblait arranger Lionel. Elle lui offrait la possibilité d'être un recours. Il pouvait à un moment ou un autre débouler dans ce jeu de quilles pour s'imposer et surtout pour prendre une revanche sur sa défaite de 2002. C'était sans compter avec la variable Ségolène. La politique n'a jamais été un long fleuve tranquille. C'est la seule activité humaine où il est permis de flinguer ses propres amis. Avec le sourire, monsieur Lionel, lui, n'est pas le dernier des tontons flingueurs. Retraité actif, il n'a jamais véritablement disparu du paysage. Il distillait, au compte-gouttes sa parole d'oracle madré. Et puis vint l'épisode de la larme de la Rochelle où il revint, pour la première fois et publiquement, sur les raisons de son retrait le justifiant comme une démarche sacrificielle. C'est ensuite qu'il a dégainé l'arme du gardien du temple qui refuse la dictature des sondages et de l'opinion incarnée par la popularité insolente de Ségolène. En épargnant les autres, tous les autres et sans jamais la nommer comme pour la nier, Lionel a systématiquement réservé ses coups pour Ségolène. Elle est devenue sa bête noire. C'est vrai que tout les sépare : elle est jeune. Lui est vieux. Elle incarne l'avenir. Lui est identifié au passé. Elle est pragmatique. Lui est idéologique. Elle est populaire. Lui n'est qu'estimé. C'est cependant insuffisant pour expliquer l'aversion puissante que nourrit l'ancien leader pour la nouvelle coqueluche. Même en jetant le gant, hier, il n'a rien trouvé de mieux que de décocher un uppercut à sa compétitrice. Ce n'est plus politique. C'est presque personnel.