Faut-il opter pour une solution à l'amiable entre l'Etat et les personnes accusées de détournement de fonds dans les grands dossiers actuellement examinés devant les tribunaux, ou attendre la fin des procès ? Point de vue de Abdelouahed Souhail, membre du Bureau politique du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS). ALM : Dans le milieu des affaires, certaines voix commencent à appeler à ce que l'on tourne la page des dossiers de détournement de fonds dans certains établissements publics en optant pour des arrangements à l'amiable. Qu'en pensez-vous? Abdelouahed Souhail : D'abord, je dois dire qu'il existe une confusion générale chez l'opinion publique sur certains de ces dossiers. On constate, par exemple, qu'il existe une tendance à confondre les dossiers de la CNSS, du CIH, de la CNCA ou celui de l'affaire des minotiers. Or, chaque dossier a une spécificité qui le distingue des autres. Si, dans certains cas, il y a des soupçons de détournement de fonds, dans d'autres, il s'agit juste d'une mauvaise gestion. Ces affaires sont donc très compliquées et leur complexité rend difficile toute tentative de trouver un arrangement à l'amiable susceptible d'être appliqué à tous les dossiers. Car, il ne faut pas oublier qu'il y a des procès en cours et tant que les tribunaux ne se sont pas encore prononcés à leur sujet, les personnes poursuivies sont toujours considérées comme innocentes. Aussi, doit-on dire que dans les cas où il y a eu une éventuelle mauvaise gestion, on ne peut parler d'arrangements, car, en fin de compte, la mauvaise gestion n'est pas un délit. J'estime donc qu'il faut aller jusqu'au bout dans les procès afin de déterminer d'abord qui est responsable de quoi et s'il y a eu effectivement des détournements ou pas. Bref, ce sont les tribunaux qui, en statuant sur ces dossiers, pourront qualifier les faits. Et personnellement, je pense que ce n'est qu'à partir de ce moment que l'on pourra parler d'une amnistie ou d'un arrangement à l'amiable. En un mot, il faut agir dans le cadre de l'Etat de droit que nous voulons tous. Cela signifie-t-il que vous êtes pour la chasse aux sorcières dans ce secteur ? Absolument pas. Bien au contraire. Je pense que la chasse aux sorcières a toujours un effet contre-productif. Il suffit à ce propos de la célèbre campagne d'assainissement qui avait eu lieu en 1995. Cette opération avait eu un effet catastrophique sur l'économie nationale puisqu'elle a cassé l'élan de l'investissement qui ne s'en est pas encore remis jusqu'à maintenant. Je suis donc contre la chasse aux sorcières. Mais, si j'insiste sur la nécessité d'aller de l'avant avec les procès, c'est parce qu'il y a une nécessité de permettre à la justice de mettre la lumière sur les différentes affaires afin de mettre un terme aux fausses idées qui sont répandues sur ces dossiers. Aussi, dois-je insister sur le fait que ces procès doivent se faire dans la sérénité sans aucune précipitation et dans le respect total de la présomption d'innocence. Mais, une fois les procès terminés, l'on peut parler d'amnistie. D'ailleurs, il s'agit d'une prérogative de sa Majesté le Roi qui a le pouvoir discrétionnaire en la matière et a le droit de l'accorder s'il l'estime nécessaire. Car, il ne faut pas oublier que les tribunaux aussi peuvent se tromper. Nous savons tous qu'un magistrat, même s'il a une maîtrise totale de la loi et même s'il est d'une probité irréprochable, il peut se tromper, par exemple, à cause de la méconnaissance de certains aspects techniques dans le cas de dossiers complexes. Un juge risque aussi d'être influencé par la pression causée par les médias. À ce propos, je dois dire que, pour avoir des procès dans la sérénité, il faut que la presse s'abstienne de faire procès en parallèle. Vous considérez donc que la presse ne doit pas commenter ces affaires tant qu'elles sont examinées devant les tribunaux ? Pas du tout. Ce que je veux dire est que les personnes qui sont poursuivies devant les tribunaux sont innocentes jusqu'à preuve du contraire. Il est donc impératif de préserver les droits des gens au même titre que les droits de l'Etat. Et si l'on juge les gens sur les colonnes des journaux, on crée une confusion qui porte atteinte à la sérénité avec laquelle ces dossiers doivent être traités. Le lynchage médiatique qui précède et accompagne les procès n'est pas juste d'autant plus que, dans certains organes de presse, le traitement de ce genre d'affaires se fait avec acharnement et sans une véritable connaissance de ses différents aspects. Je pense donc que la presse doit avoir un rôle pédagogique parallèlement à son rôle informatif. Elle devrait donc expliquer les dossiers, présenter les faits et respecter la présomption d'innocence.