Combien de personnes connaissent le peintre Ahmed Krifla ? Très peu en dehors de ses collègues. Ce peintre mérite pourtant toute notre considération. Ahmed Krifla est un peintre autodidacte. Certains qualifient son art de naïf. C'est seulement dans le sens d'enfance de l'art que la peinture de Krifla est peut-être naïve. Car l'homme, exclusivement attaché à son entourage, n'est assurément pas un Naïf appliqué à élaborer des tableaux simples, folkloriques ou artisanaux. Krifla, un peintre frénétiquement attaché à la réalité des personnes et des choses qui l'entourent. Krifla amène des scènes de sa vie quotidienne à exister; et l'ensemble de son travail montre qu'il a été constamment un observateur à l'œil alerte, volontiers fasciné, en même temps qu'un rêveur capable de saisir au vol les éléments merveilleux et inquiétants de la nature. Ahmed Krifla aime la nature, et tout particulièrement les arbres. Krifla s'appuie souvent sur des photographies pour peindre ses tableaux. Il sort rarement sans son appareil de photos, et fixe, lors de ses promenades, tout ce qui lui paraît susceptible de subir un traitement pictural. Ces photos tiennent lieu d'un document de travail. Elles sont sinon les garde-fous qui incrustent Krifla dans la réalité de son environnement, du moins le matériel qui lui est indispensable pour rester tout près de ce qu'il cherche à peindre. Mais inutile de préciser que le réalisme de Krifla est un réalisme créateur, et que si la photographie évoque le résultat définitif de la toile, l'œuvre ne ressemble en rien au support qui a servi à sa matérialisation : la peinture est infiniment plus belle. Krifla est un paysagiste. Mais comment rendre les couleurs de la nature lorsqu'on manque de peinture, de tubes de peinture ? Certains tableaux de Krifla semblent être sortis d'un rêve. Ils sont peints sans couleurs ; des abrégés, en quelque sorte, d'une réalité aux tons fantomatiques. Il ne s'agit pas pourtant d'un choix esthétique, mais d'une nécessité. Krifla hume la peinture quand il entre dans des ateliers de peintres pour qui la question des moyens consubstantiels à l'exercice de leur art ne se pose pas. Lors d'une exposition au Centre culturel américain de Casablanca, un tableau de Krifla représentant un pré fleuri a provoqué une véritable invasion d'abeilles. Dupées par la véracité de ce tableau, les abeilles étaient venues dans l'intention de butiner dans les fleurs du pré. Gageons qu'une photographie grandeur nature d'un pré fleuri n'aurait pas réussi à tromper leur vigilance. Et si elles n'ont pas résisté à la tentation de rendre hommage aux fleurs de Krifla, c'est parce que tout y respire la vie… Quelles merveilleuses critiques d'art sont ces abeilles.