Le professeur des relations internationales à l'université Mohammed V de Rabat, Mohamed Moatassim, estime que l'Algérie est aujourd'hui gérée par des rescapés de la guerre froide et du parti unique, nostalgiques d'une Algérie hégémonique. ALM : Que pensez-vous du report du Sommet de l'UMA qui devait se tenir à Alger ? Mohamed Moatassim : Tout d'abord, je tiens à préciser que l'UMA, dans l'esprit de ses créateurs, devait conduire à la création d'un bloc cohérent, capable de faire face aux défis de la mondialisation et aux autres groupements régionaux. L'idée est généreuse, en soi. C'est ainsi que, petit à petit comme l'ont fait les Européens, l'UMA était appelée à dépasser les contradictions artificielles et conjoncturelles entre ses Etats membres. Mais force est de constater que ces objectifs n'ont pas été atteints. Pourquoi, selon-vous, l'UMA n'est resté qu'un vœu pieux ? En fait, il y a des exigences à remplir pour la constitution de l'UMA. Il s'agit de l'accès à la démocratie et ses corollaires comme la liberté d'expression, la libre circulation des biens et des personnes. En somme, tant que les pays du Maghreb n'ont pas compris cela, il est impossible de construire cet ensemble économique auquel aspirent les 100 millions de citoyens de nos pays. Le Maroc a accompli d'énormes pas dans ce sens, ce qui n'est pas le cas pour nos voisins. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'ils n'ont pas opté pour un régime démocratique. Prenez le cas de l'Europe. Elle a réussi à construire son union quand toutes ses composantes ont résolument choisi la voie de la démocratie. Si les pays de l'Est européens ont tardé à intégrer l'UE, c'est justement à cause de cela. Sans la démocratisation des régimes maghrébins, aucune construction de l'UMA n'est possible. Certes, l'affaire du Sahara est un important obstacle, mais sa résolution n'est pas suffisante. Inversement, peut-on construire une UMA sans résoudre l'affaire du Sahara ? L'Algérie pratique la politique de l'autruche. Elle entretient une armée de mercenaires. Les militaires au pouvoir ont touché le Maroc dans ce qu'il a de plus sacré, son intégrité territoriale. Abdelaziz Bouteflika et son ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Belkhadem, ont souligné que la question du Sahara est du ressort de l'ONU, alors qu'en réalité c'est un problème bilatéral, entre le Maroc et l'Algérie. Cette dernière, en se cachant derrière de faux principes du droit international, n'a fait que bloquer la construction maghrébine. A ce titre, que pensez-vous du refus du Souverain de se diriger vers Alger ? Le Maroc d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier. Le nouveau Roi, Mohammed VI, a choisi de travailler dans la plus grande transparence. C'est d'ailleurs l'une de ses qualités fondamentales. Le Souverain a opté pour la démocratisation du pays, il a également relevé des défis ayant trait au statut de la femme et aux choix économiques et sociaux. En matière des relations avec l'Algérie, SM Mohammed VI a choisi l'option de la loyauté, de la sérénité et du pragmatisme. En résumé, tant que l'Algérie n'a pas emprunté le même train que celui du Souverain, aucun dialogue n'est possible entre les deux. SM Mohammed VI n'est pas dupe, il ne peut pas s'asseoir autour d'une même table avec des personnes qui magouillent et qui pêchent dans de l'eau trouble. Ce serait jouer à cache-cache avec l'Algérie. Or, le Souverain n'a pas de temps à perdre. Pourquoi les responsables algériens continuent à vouloir bloquer la construction de l'UMA ? Vous savez, à cause de ses manigances, l'Algérie a causé la faillite de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), dont le Maroc est l'un des pays fondateurs. Aujourd'hui, elle est en train de faire la même chose avec l'UMA. Ce jeu machiavélique algérien a été contré par la transparence et l'honnêteté royale. Maintenant que nous sommes dans une impasse, comment imaginez-vous l'avenir de l'UMA ? Nous pouvons imaginer toute une série d'hypothèses. J'espère que le "parti unique" en Algérie finira par laisser la place à une démocratie authentique. Malgré les apparences, les anciens du régime de Boumediene sont toujours au pouvoir en Algérie. Bouteflika en fait partie. Ces rescapés de la guerre froide sont nostalgiques d'une Algérie hégémonique. Il est impossible dans ce cas de croire en une Union du Maghreb Arabe. Pensez-vous que le départ de Bouteflika pourrait accélérer la construction maghrébine ? En tout cas, une chose est sûre: tant que Bouteflika est au pouvoir, il serait difficile d'abord pour le peuple algérien de se libérer et ensuite pour le Maroc de trouver des interlocuteurs new-look capables de parler le même langage que le Souverain afin de dépasser les conflits artificiels et lancer l'UMA. En fait, l'UMA est-elle si nécessaire que cela ? L'UMA a des atouts extraordinaires, beaucoup plus que n'en disposaient les Européens au moment du Traité de Rome. Les pays du Maghreb ont un ciment identitaire extraordinaire. Nous partageons la même religion, l'Islam. Les 100 millions de citoyens que compte l'UMA se dirigent cinq fois par jour vers une seule et même kibla. C'est un facteur d'unité incroyable. C'est d'ailleurs ce qui a empêché nos pays de se livrer des guerres fratricides et meurtrières. C'est aussi ce qui me rend optimiste quant à l'avenir.