Maître Abdoulaye Wade sera le premier chef d'Etat à fouler, ce lundi, le tarmac de l'aéroport international de Nouakchott. Une visite historique destinée à renforcer les liens entre les deux pays dont les relations sont souvent conflictuelles. C'est un observateur attentif des péripéties de la transition politique en Mauritanie qui pose pied ce lundi 30 janvier 2005 à Nouakchott. Une visite quasihistorique. C'est la première fois en effet qu'un chef d'Etat foule le macadam de l'aéroport international de Nouakchott depuis la révolution du Palais qui a porté au pouvoir, dans la nuit du 3 août 2005, le Comité militaire pour la justice et la démocratie. De quel message est donc porteur, maître Wade à son voisin mauritanien? Simple coïncidence peut-être, la visite intervient quatre jours après la tournée de l'ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique à Nouakchott dans quelques camps de réfugiés mauritaniens au Sénégal. Une concomitance qui n'est pas sans raviver polémiques et rumeurs. A Dakar, l'explication donnée à ce déplacement, censé «replacer la Mauritanie dans son environnement africain», est toute simple. «C'est une visite destinée à renforcer les relations entre les deux pays», dit-on avec une retenue diplomatique, dictée sans doute par cette légendaire susceptibilité qui caractérise les relations entre les deux pays. Une manchette aguicheuse à souhait, «Wade engueule Ould Taya !», titre à la Une d'une publication sénégalaise à tirage modeste n'avait-il pas suffi, il y a quatre ans, à provoquer une longue brouille entre les deux chefs d'Etat? La gestion des eaux du fleuve Sénégal, à la fois élément vital, et délimitation naturelle entre les deux pays, a toujours exacerbé cette susceptibilité. Le droit coutumier régissant les riches terres de la vallée, voulant que des Sénégalais aient des terres en Mauritanie et vice-versa, a toujours été pointé du doigt par les nationalistes des deux bords. Au rêve du président Wade d'arroser le «bassin arachidier» sénégalais par les eaux de ce fleuve, l'ex locataire du Palais ocre de Nouakchott répondait toujours par sa volonté de réanimer son projet «Aftout Assahel », pour alimenter Nouakchott depuis Rosso, au moyen d'un lac artificiel traversant le désert sur plus de 200 kilomètres. Cette susceptibilité a retardé la mise en place de l'Organisation de la mise en valeur du Sénégal, regroupant, avec le Mali, les trois pays concernés par ce fleuve. La Mauritanie s'était opposée formellement à ce qu'une partie de la ligne électrique la desservant passe par le Sénégal. C'est dire que du temps de Ould Taya, cette constance de la politique sénégalaise de la Mauritanie n'a toujours pas été facile à trouver. L'ex-homme fort de la Mauritanie soupçonnait son voisin du Sud de comploter avec les nationalistes négro-africains. Le même Wade, rompu au realpolitik, après avoir rendu public un échange épistolaire avec le mouvement FLAM aux lendemains de son arrivée au pouvoir (cause d'une nouvelle brouille diplomatique), n'hésitera pas, pour remettre les pendules à l'heure, de déclarer persona non grata la plupart des opposants négro-africains. Confronté sur sa frontière Sud au problème de la Casamance, Dakar a toujours tenu à cultiver des relations cordiales avec son voisin du Nord. D'ailleurs, dès le lendemain de l'arrivée du CMJD au pouvoir, alors que les écrans de la plupart des pays africains montraient un Alpha Omar Konaré (secrétaire général de l'Union Africaine), récitant le catéchisme de l'Union contre les putschs, Wade a été le premier à rompre les rangs. Sous l'égide de l'homme fort du «Sopi», une réunion de mouvements d'opposants mauritaniens en exil est organisée à Dakar en présence de deux hauts gradés de l'armée sénégalaise. Le président Wade déclarera plus tard avoir organisé cette rencontre avec l'assentiment du nouvel homme fort de Nouakchott. Mais le mal était déjà fait. La présence, au cours de cette réunion, de deux colonels de l'armée sénégalaise, avait suffi par réveiller le nationalisme mauritanien. Face au tollé des réactions de la presse et des politiques accusant le président sénégalais d'ingérence, celui-ci fait marche arrière. Depuis cet incident intervenu fin août, le chemin entre Dakar et Nouakchott a été suffisamment balisé par les missions répétitives des ministres des Affaires étrangères des deux pays pour dire que tout est au beau fixe. Quelques dossiers sont néanmoins toujours en suspens. Celui des réfugiés mauritaniens au Sénégal reste le plus polémique. A l'origine, un heurt banal entre bergers et éleveurs des deux pays, survenu le 9 avril 1989, dans une localité perdue, suffira à mettre le feu aux poudres. En quelques jours, à Nouakchott comme à Dakar, une terrible chasse à l'homme est organisée contre les ressortissants des deux pays. Des centaines de personnes y perdront leur vie. Un pont aérien est mis en place entre Nouakchott et Dakar. Revanchard, Ould Taya qui avait échappé deux ans plutôt à un complot militaire des officiers originaires du sud du pays, déporte des milliers de ses compatriotes vers le Sénégal et le Mali. Longtemps taboue, la question des réfugiés mauritaniens, est devenue centrale depuis l'arrivée de Ely Ould Mohamed Vall au pouvoir. Celui-ci, prudent, aura eu le mérite de poser le problème officiellement, tout en souhaitant le laisser comme legs au prochain président démocratiquement élu. Preuve, qu'en matière de stratégie politique, Ould Vall n'a pas de leçon à recevoir de l'instigateur du Plan Oméga.