Abdessaïd Cherkaoui, expert agréé en droit de propriété intellectuelle, estime que le Maroc est tombé dans le piège de la mondialisation. Son ouvrage «Pouvoir de l'empire empileur», disponible sur Internet, donne plus de détails sur le sujet. Entretien. ALM : Quel rapport y a-t-il entre mondialisation et droits d'auteur ? Abdessaïd Cherkaoui : Tous les spécialistes avertis en matière des droits d'auteur savent pertinemment qu'une œuvre de l'esprit revêt un caractère mondial. Elle n'est pas liée à la possession d'un objet matériel dans un pays déterminé. Elle franchit facilement toutes les frontières. Aussi est-elle facilement objet de vol (piratage) sans frontières. D'où l'importance d'introduire dans les lois nationales des dispositions assurant la protection des droits d'auteur, notamment sur des œuvres étrangères, appartenant aux nouveaux titulaires originaires des droits d'auteur économiques. Ceux-ci ne sont autres que les firmes multinationales (Microsoft, Disney, Hollywood…) sévèrement réprimées (à tort ou à raison) par les anti-mondialistes, mais efficacement protégées, et aisément admises comme « auteurs », par la nouvelle loi adoptée au Maroc. Qu'elle est la grande faille de la nouvelle loi marocaine sur les droits d'auteur ? Le Maroc n'a pas opté pour la mondialisation des droits humains et culturels, mais pour la globalisation des droits d'auteur économiques. En abrogeant sa loi antérieure de 1970, et en adoptant de façon irréfléchie une autre de valeur mercantile, le danger est grand de voir le Maroc tomber dans le piège de la mondialisation. Les nouveaux droits d'auteur marocain excluent le droit humain. La mondialisation à visage humain n'est autre que le droit de l'auteur humain (personne physique, non morale). Ce nouveau régime des droits d'auteur fondé sur le copyright anglo-saxon, reconnaît explicitement la qualité d'auteurs aux firmes multinationales. Ce que la France et d'autres pays européens et latino-américains ont toujours rejeté. Cette situation peut avoir des répercussions sur la protection des œuvres nationales.
Qu'en est-il du rôle alors du Bureau marocain des droits d'auteur ? Le bureau marocain des droits d'auteur n'a, à ce jour, aucun statut juridique. Il n'a en réalité rien de marocain. Il gère sur le territoire national les intérêts des diverses sociétés étrangères d'auteurs auxquelles les auteurs marocains ont donné les pleins pouvoirs. Le BMDA se limite donc à percevoir des droits d'auteur dans les lieux publics et à prélever une part de ces recettes pour couvrir ses dépenses ou frais de gestion. Une autre part est envoyée aux sociétés étrangères d'auteurs pour rémunérer le travail intellectuel des auteurs étrangers. Le reste des droits d'auteur perçus au Maroc est alors réparti entre les auteurs et compositeurs marocains par les sociétés-mères étrangères d'auteurs. Le directeur et le personnel du BMDA ne sont pas des fonctionnaires. Leurs salaires, dépenses et frais de déplacements au Maroc et à l'étranger proviennent de la perception des droits d'auteur marocain. Celui-ci n'a même pas un droit de regard sur la gestion de ses droits.
Qui protège donc le créateur marocain et l'identité culturelle marocaine ? Des chambres ou agences du livre peuvent être établies pour représenter, dans le cadre de la loi, les auteurs d'œuvres littéraires et scientifiques, et négocier des accords pour la prise en compte et la perception des droits d'auteur, notamment auprès des maisons de reproduction, les organismes de radiodiffusion, les bibliothèques et les services d'archives, etc. Il faut aussi que tous les auteurs et créateurs ainsi que leurs autres voisins, soient représentés, sans distinction ni discrimination, par un organisme d'auteurs représentatif, placé sous l'égide d'un «Conseil supérieur de la propriété intellectuelle» ou doté d'un Conseil d'administration, regroupant toutes les personnes physiques et morales concernées «titulaires originaires des droits». Les efforts des auteurs pour protéger leurs droits restent très limités. Les auteurs ignorent parfois leurs droits, ils manquent souvent de moyens financiers pour assurer leur protection et éprouvent des difficultés à s'orienter à travers les arcanes de la législation et les procédures compliquées de certains systèmes administratifs.