Profitant de la detresse d'une poignée de chômeurs, Ali les a déplumés en leur promettant un visa pour l'éldorado européen. Chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Casablanca. La salle d'audience est archicomble en cet après-midi du mois de décembre. Une dizaine d'accusés ont été appelés à la barre. Leurs dossiers ont pourtant été reportés par le tribunal soit sur demande de l'avocat, soit du prévenu lui-même. Quant à Ali, il était prêt pour être interrogé. Son avocat était déjà à ses côtés. «Tu es accusé d'escroquerie », lui rappelle le président du tribunal. Et sur un ton tout aussi sec, Ali a nié catégoriquement. Il a même précisé au tribunal n'avoir jamais rencontré les plaignants. Pourquoi les victimes l'ont-elles pointé du doigt? Pourquoi n'ont-elles pas accusé une autre personne? Ont-elles toutes tort et lui seul a raison ? «C'est lui, M. le président», affirme le premier témoin, Abdellah, auquel Ali aurait extorqué une somme de 30 mille dirhams. «Il accompagnait un ami avec lequel j'avais rendez-vous dans un café du centre-ville», a ajouté Abdellah. Lors d'une conversation relative au sujet de l'immigration clandestine, Abdellah a fait part de son rêve de se retrouver un jour de l'autre côté de la Méditerranéen. «Je peux t'aider», le rassure Ali sur un ton sérieux. Il lui a même expliqué avoir la capacité de l'aider d'y aller légalement et non pas clandestinement. Abdellah, qui se débrouillait pour gagner sa vie et subvenir aux besoins de ses deux enfants, n'a pas hésité à lui demander le prix. Ali lui a réclamé trente mille dirhams. Abdellah, qui rêvait de se rendre le plus tôt possible dans l'Eldorado européen, lui a remis, deux jours plus tard, la moitié de la somme en lui promettant de lui verser le reste une fois le visa Chengen entre ses mains. Seulement voilà, entre-temps, Ali a disparu dans la nature. Prenant la parole, le deuxième témoin, une jeune fille de trente-deux ans, sans profession, a expliqué au tribunal avoir fait la connaissance d'Ali par le biais d'une amie à elle. Cette dernière lui avait affirmé qu'Ali était capable de l'aider à avoir un visa. Elle a précisé au tribunal lui avoir versé une somme de dix mille dirhams. Seulement, précise-t-elle, il n'a plus donné signe de vie. Ali reproduisait presque le même scénario avec ses autres victimes. Ces dernières, au nombre d'une dizaine, étaient unanimes sur le fait que le suspect les rencontrait le plus souvent dans des cafés ou faisait leur connaissance avec une autre victime qu'il réussit à séduire et à plumer, en leur promettant monts et merveilles contre des sommes allant de dix à trente mille dirhams, qu'il éparpillait par la suite dans les boîtes de nuit.«Toutes ces victimes ont-elles menti ?», a demandé le président à Ali. Ce jeune, âgé de trente-quatre ans, repris de justice, célibataire et sans profession, a gardé le silence pendant quelques secondes avant de répondre : «Je ne les connais pas M. le président». Cette phrase a été reprise par son avocat de la défense pour expliquer que son client n'a eu aucune relation avec les victimes. Les plaignants l'ont-ils confondu avec une autre personne ? Possible, répond l'avocat qui n'a pas hésité à préciser au tribunal que son client a des rêves qu'il souhaite réaliser, non pas en recourant à l'escroquerie, mais en travaillant dur. A ce propos, l'avocat de la défense a affirmé qu'Ali se débrouillait depuis son bas âge dans le commerce. «Il est un marchand ambulant», a-t-il indiqué avant de réclamer son acquittement. Cette plaidoirie n'a pas plu au substitut du procureur du Roi qui s'est interrogé sur le fait que toutes les victimes l'aient accusé directement. Pour répondre que le mis en cause est intelligent parce qu'il espérait induire le juge en erreur dans l'espoir de jouir du bénéfice du doute. En fin de son réquisitoire, le substitut du procureur du Roi, qui est loin d'être dupe, a requis une peine maximale contre Ali, qui a finalement été jugé coupable par le tribunal. Il a été condamné à trois ans de prison ferme, assortis d'une amende de mille dirhams.