Selon Jalal Hassoun, traumato-orthopédiste et secrétaire général du bureau local du Syndicat de l'enseignement supérieur, le départ volontaire de la fonction publique a accentué le déficit en médecins spécialistes. Entretien. ALM : Comment évaluez-vous l'impact de l'opération des départs volontaires de la fonction publique sur le secteur de la santé, sachant que pas moins de 260 médecins spécialistes ont quitté la fonction publique alors que le Maroc en a besoin ? Jalal Hassoun : Premièrement, il y a un constat : le Maroc souffre d'un manque accru de médecins et de personnel paramédical. Cette réalité n'a pas été prise en considération. Le départ des médecins spécialistes qui travaillaient dans les hôpitaux publics n'a fait qu'aggraver la situation actuelle. Le déficit en médecins spécialistes dans les hôpitaux, notamment dans les régions enclavées où les infrastructures et l'équipement médical font défaut, s'accentue de plus en plus. En somme, le programme du départ volontaire de la fonction publique a davantage appauvri le patrimoine humain du secteur de la santé nationale. Il est insensé de laisser partir des gens et puis dire plus tard qu'on a besoin de combler ce vide. La logique du besoin des services n'a pas été respectée. Il convient de noter que contrairement aux autres fonctionnaires de l'Etat, les médecins, abandonnant la fonction publique, restent actifs dans le privé. Pourquoi d'après vous les médecins spécialistes refusent de travailler dans les régions éloignées du Royaume ? La répartition géographique des médecins spécialistes sur le territoire national comporte effectivement des écarts marqués en faveur des régions situées dans l'axe Kénitra-El Jadida. Près de 80% des médecins sont concentrés dans cette zone où les infrastructures sont très développées. Il y a deux considérations qui poussent les médecins d'écarter l'idée d'exercer dans les régions enclavées : humaine et professionnelle. Un médecin ne peut travailler dans une région où son avenir et celui de ses enfants sont compromis. En outre, il est aberrant d'affecter un médecin spécialiste dans un hôpital où il ne va pas pratiquer sa spécialité. Le besoin d'infrastructures en matière de santé dans les régions enclavées est très important. Le développement des régions est alors une condition sine qua non du développement du secteur. Que pensez-vous d'une éventuelle embauche des médecins étrangers dans les hôpitaux publics dans les régions enclavées ? C'est une aberration ! Le fait d'embaucher des médecins spécialistes étrangers dans des hôpitaux ne résoudra pas le problème du déficit. Ces médecins ne connaissent ni la langue nationale, ni la culture ni les données épidémiologiques du pays. Tous ces éléments constituent des obstacles à leur adaptation pour répondre d'une manière efficace aux besoins nationaux. Encourager les médecins spécialistes nationaux à travailler dans ces régions (motivation salariale, une période d'affectation n'excédant pas 3 à 4 ans) est l'une des solutions envisageables. De même, il faut noter qu'un médecin étranger ne peut exercer dans le pays que s'il obtient une équivalence de son diplôme. Et le problème du manque d'infirmiers… Le déficit infirmier est une autre problématique qui ternit l'image du secteur de la santé nationale. Selon les chiffres du ministère de tutelle, le Royaume a besoin de près de 9000 infirmiers. Certes, en 2001, le ministère a réouvert les écoles de formation des infirmiers réparties sur le territoire national. La première promotion d'infirmiers et d'infirmières formés est sortie en juin 2005. Sur 1500 diplômés, seul 600 infirmiers seraient embauchés par manque de postes budgétaires. Les autres diplômés peuvent alors soit exercer dans le secteur privé soit migrer vers l'étranger en France ou au Canada où les conditions de travail et les motivations salariales sont très importantes. C'est un grand gâchis. L'Etat investit énormément dans leur formation, puis les laisse partir. Nous avons d'excellentes compétences en matière de médecine et de personnel paramédical, mais le secteur agonise. C'est un véritable paradoxe. L'exemple du CHU de Casablanca illustre clairement cette situation. A cet hôpital,on note une vraie dynamique en matière de rénovation des services et équipements, fruit de l'association des efforts de la société civile et de l'administration. Cependant, on ne peut pas optimiser le rendement et la rentabilité de ces services si on n'arrive pas à combler le déficit en personnel paramédical, infirmiers et aides-soignants.