Le fils d'Ahmed Tommouhi, Khalid, regrette que les autorités marocaines ne fassent aucun effort pour la libération de son père, emprisonné injustement en Espagne depuis 14 ans. ALM : Votre père est emprisonné depuis 14 ans en Espagne, alors qu'il est totalement innocent. Que ressentez-vous au juste ? Khalid Tommouhi : En effet, mon père a été arrêté en 1991, accusé de vol et de viol. En 1995, le véritable coupable a été arrêté. Il a reconnu avoir commis tout ce qu'on reprochait à mon père. Pourtant, depuis 10 ans donc, la justice espagnole refuse de l'innocenter. Il est toujours en prison à Martorell qui se trouve à une quinzaine de kilomètres de Barcelone. La justice espagnole n'a pas voulu reconnaître sa faute et d'avouer qu'elle s'est trompée et qu'elle a pris mon père pour un autre. Pour l'innocenter, ils ont demandé à mon père de signer un document où il reconnaît avoir commis des infractions, ce qu'il a, bien évidemment, catégoriquement refusé. Vous voulez savoir ce que je ressens. Une énorme tristesse pour ce père dont je suis privé ainsi que ma famille depuis 14 ans. Ce père, âgé de 53 ans, dont la santé se dégrade de jour en joure, en prison. Et que je crains sérieusement de perdre. Vous savez, l'injustice est la pire des choses qui puisse arriver à une personne, surtout quand on se sent totalement incapable de réparer les torts causés. Aujourd'hui, je n'ai pratiquement le goût de rien. Mon seul rêve, alors que je suis âgé de 26 ans, est de voir mon père enfin libre. Qui est-ce qui vous soutient actuellement ? Plusieurs associations espagnoles se mobilisent activement pour la libération de mon père. Nous multiplions les manifestations et les courriers. La presse espagnole également ne cesse de parler de ce scandale judiciaire et de faire pression pour que le dossier de mon père soit activé. Le dernier sit-in que nous avons organisé a eu lieu le 15 juillet à Martorell. Nous étions plus de 150 personnes. Des gens que nous ne connaissons pas. Ils ont entendu parler de notre problème sur Internet ou dans les journaux, et ils sont venus nombreux pour nous soutenir et appeler à la libération de mon père. Il y a eu une très forte présence des médias : la télévision catalane, la presse écrite, etc. Aussi, un membre de la Guardia Civil, qui connaît très bien l'affaire de mon père, est entièrement impliqué dans son soutien. Il a même fait l'objet d'une mutation-sanction à cause de ses prises de positions en faveur de la libération de mon père. Et pourtant, il reste fidèle à ses principes et m'assure continuellement de son soutien. Est-ce que les autorités ou les associations marocaines présentes en Espagne vous ont aidé ? Effectivement, au début le consulat du Maroc à Barcelone nous a prêté main-forte. Il nous a énormément aidés. Mais depuis le départ du consul et d'un autre fonctionnaire, ni le consulat de Barcelone ni l'ambassade du Maroc à Madrid n'ont bougé le petit doigt pour mon père. Nous avons rencontré l'actuel consul du Maroc à Barcelone. Il nous a donné beaucoup de promesses, sans résultat. C'est vraiment triste de dire cela, surtout quand je vois que l'Etat espagnol fait les mains et les pieds pour libérer ses citoyens où qu'ils soient, même s'ils sont véritablement coupables. Mais l'Etat marocain ne semble même pas prendre au sérieux la souffrance de cet homme innocent et de sa famille. En attendant, nous avons saisi le tribunal européen des droits de l'Homme à Strasbourg. Et nous espérons que les choses vont rapidement évoluer. Mais si l'affaire est judiciaire, que peut faire l'Etat marocain ? Justement, l'affaire n'est pas du tout judiciaire. Car l'innocence de mon père ne fait plus aucun doute. Même la justice espagnole le reconnaît puisqu'elle a jugé et condamné une autre personne pour les faits qui sont reprochés à mon père. C'est donc une question d'entêtement de certains magistrats. Tous nos avocats nous disent que sans l'intervention de l'Etat marocain, rien ne va changer. L'affaire est ainsi éminemment politique. Nous avons saisi le tribunal européen. Comment vivez-vous après l'arrestation de votre père ? Quand mon père a été arrêté, mes deux sœurs et moi étions avec ma mère au Maroc. Nous sommes originaires de Nador. A l'époque je n'avais que 12 ans. Mon père travaillait comme maçon en Espagne. Heureusement que mon oncle était avec lui. Il l'a soutenu et nous a énormément aidés. En 2000, j'ai réussi grâce à l'aide de mon oncle à décrocher un contrat de travail en Espagne. Je m'y suis rendu et je travaille actuellement dans une entreprise de construction. Je prends en charge financièrement ma mère et ma sœur aînée qui se trouvent toujours à Nador. Ma sœur cadette, elle, est mariée ici en Espagne. Est-ce que vous voyez votre père assez souvent en prison ? Bien sûr. Nous lui rendons visite chaque dimanche après-midi. Il a droit à une visite de 20 minutes. En prison, tout le monde sait qu'il est innocent, ce qui lui remonte le moral, car ce dernier est bien altéré. Les gardiens le traitent correctement. Vous dites que sa santé se dégrade. Comment cela ? En effet, il y a deux mois environ, il a été conduit d'urgence à l'hôpital à cause d'un infarctus dû, comme nous l'ont expliqué les médecins, à l'angoisse et au désarroi de la détention. Mon père est innocent.