L'affaire Annajat commence à tourner au drame. A Beni Mellal, Abdelhakim Hachmi, âgé de 30 ans, a mis fin à sa vie par désespoir. Le coordinateur régional des victimes d'Annajat dans la région Tadla-Azilal s'est suicidé le 11 août par désespoir. La nouvelle a secoué sa famille et toute l'opinion publique de la ville de Beni Mellal. Abdelhakim Hachmi, la trentaine, s'est pendu à un olivier dans la périphérie de Beni Mellal. Paradoxalement, rien dans son comportement ne laissait augurer qu'Abdelhakim s'apprêtait à commettre l'irréparable : mettre fin à ses jours. De l'avis de toutes les personnes interrogées, Abdelhakim était quelqu'un de jovial, cultivé et brillant. Il était détenteur de deux diplômes du baccalauréat, l'un en sciences expérimentales et l'autre en sciences-maths. Il a poursuivi ses études à la faculté des sciences de Marrakech, puis s'est dirigé à Tan Tan où il a intégré l'Institut scientifique des pêches maritimes, avant de retourner à Beni Mellal où il s'est inscrit à l'Institut supérieur des technologie appliquées (ISTA). En somme, il était sérieux et dynamique. Malgré le chômage, Abdelhakim se faisait un peu d'argent de poche en assurant des cours particuliers pour des lycéens, essentiellement en sciences naturelles, physiques et mathématiques. Mais vraisemblablement, l'affaire Annajat a bouleversé sa vie. Il a progressivement commencé à perdre tout espoir. Il a même tenté, une première fois, de se suicider chez lui, mais il a échoué. La corde qu'il avait utilisée, un fil d'antenne, n'a pas supporté son poids. Après cet échec, il est sorti en courant de la maison pour s'acheter une corde plus solide, celle qu'utilisent les ménagères pour étendre leur linge. Immédiatement après, il s'est dirigé vers le quartier Takadoum, en banlieue de Beni Mellal. Il a choisi un lieu isolé, à la sortie de la ville, probablement pour ne pas prendre le risque d'être secouru. Né le 16 octobre 1975, Abdelhakim Hachmi avait quatre frères et deux sœurs. Tous sont des diplômés chômeurs, sauf l'aîné qui travaille à l'Office National d'Electricité (ONE) et la cadette qui est handicapée. Le suicide d'Abdelhakim a bouleversé toute cette famille qui a sombré, depuis, dans une tristesse profonde. Ils ne comprennent pas comment leur frère et leur fils a pu franchir ce pas. Pourtant, le père d'Abdelhakim est relativement à l'abri du besoin. Propriétaire d'un grand-taxi, il possède également quelques lopins de terres agricoles, un local commercial et une maison mise en location. La famille vivait certes, modestement, mais Abdelhakim ne supportait certainement plus de vivoter. A deux reprises, il s'est rendu à Tanger pour tenter l'aventure de la traversée clandestine du détroit de Gibraltar, à bord des pateras. Mais à chaque fois, il revint bredouille à Beni Mellal. "La sécurité est maximale, il est quasiment impossible de passer par Tanger", disait-il à ses amis. Cette traversée, qui coûte pourtant pas moins de 20.000 DH, et le risque d'une noyade dans une eau glacée, ne faisait pas peur à Abdelhakim. Ce qu'il souhaitait en répondant à l'appel à candidature d'Annajat, c'est justement de changer d'air, de vivre sous d'autres cieux. Abdelhakim Hachmi était l'un des premiers militants pour la cause des victimes d'Annajat. "Dès l'éclatement de l'affaire Annajat, il a été de toutes les batailles que nous avons menées à Rabat", assure un des anciens compagnons d'infortune d'Abdelhakim. Après plusieurs semaines de protestations à Rabat, Abdelhakim et les autres victimes de Beni Mellal ont préféré poursuivre leur combat dans leur ville. Aujourd'hui, Beni Mellal vit au rythme des protestations des victimes d'Annajat. Pas plus tard qu'hier, mardi, plus d'une trentaine de jeunes victimes se sont donné rendez-vous devant le siège de la wilaya. Ils ont observé un sit-in de 10 heures à 15 heures. Leurs revendications sont au nombre de quatre. Ils exigent que l'Etat les intègre dans la fonction publique, ou dans un établissement semi-public. Leur procure un contrat de travail à l'étranger. Leur facilite l'obtention d'agréments de transport et enfin, leur accorde des terrains agricoles qu'ils sont prêts à exploiter. Ceci sans parler, bien évidemment, de la réparation des dommages subis dans le cadre de l'affaire Annajat. Le nouveau coordinateur régional des victimes d'annajat dans la région Tadla-Azilal, Mohamed Jamal Skaoui, a expliqué que les autorités locales leur ont proposé des emplois saisonniers dans une usine de sucre. Et d'ajouter : "Nous avons refusé cette offre, nous avons tous dépassé la trentaine, ce qu'il nous faut c'est un emploi stable". En outre, bon nombre d'anciennes victimes pensent sérieusement à émigrer en Espagne clandestinement. Si leurs tentatives échouent, ils risqueraient de reproduire le triste scénario d'Abdelhakim Hachmi.