A peu de temps de l'évacuation de Gaza, chaque partie annonce ou donne sa dernière explication. Elle lance son dernier appel ou manifeste, avec toutes ses forces, dans le territoire d'Israël. Ariel Sharon, chef du gouvernement, président d'un parti de droite en état de rébellion, voire la scission de sa partie extrémiste, maintient sa décision de désengager les militaires et les colons israéliens de Gaza, à partir du mercredi 17 août. L'armée, avec la police, a mis en place tout un plan et tous les moyens pour réaliser l'évacuation des postes militaires et des villages de colonisation de Gouch Katif (Bloc des colonies du sud de Gaza). Personne ne dévoile les éléments de son plan et, encore moins, les détails pour évacuer les 5 000 colons restants et près de 3000 jeunes religieux infiltrés dans le Gouch Katif. Alors que l'armée et la police avaient interdit tout passage, sauf aux habitants des colonies, jusqu'au mardi soir 16 août. Les religieux, soutenant les colons avec rage et un extrémisme religieux excessif, multiplient leurs manifestations en Israël : sur la place Itshac Rabin à Tel Aviv, à deux reprises. Avec 100 000 manifestants, puis 200 000, tous religieux (portant kipa), ils ont maudi tous les tenants du désengagement, tous les alliés de Sharon. Y compris, par exemple, le lieutenant-général, grand Rabbin de Tsahal (armée israélienne), Israël Weiss, insulté au téléphone par l'ancien grand Rabbin d'Israël, Abraham Shapira, devenu le leader du Mafdal (Parti national religieux) : «Tu as une longue carrière de héros du refus des intérêts des religieux». Tous les manifestants disaient, avec ferveur, «Gouch Katif, je te jure fidélité». Le Comité des rabbins de Yesha (Comité des colons) affirmait de son côté : «celui qui participera à l'évacuation d'une famille du Gouch Katif sera redevable, devant Dieu, dans ce monde et dans le monde à venir». Cette atmosphère de crise religieuse devant un événement incontournable,- le désengagement de Gaza-, a amené tout d'abord le président de l'Etat d'Israël, homme du Likoud, à faire un «discours à la nation» pour présenter aux colons, dont il demande le départ dans le calme, «le pardon, le mien et celui du pays». Sharon refuse cette demande de pardon aux colons, en disant : «il ne s'agit pas de pardon, mais de la participation à leur douleur». C'est ainsi que Sharon a entamé la longue interview qu'il a donnée à Yediot Aharonot, quotidien populaire, tirant le vendredi à plus d'un million d'exemplaires. Au lieu de demander pardon, Sharon préfère faire un «discours à la nation», lundi soir 15 août, pour exprimer «sa sympathie pour leurs souffrances. En faisant l'éloge de leurs accomplissements et en leur souhaitant bonne continuation». Avant de donner son interview au journal Yediot Aharonot, Sharon avait l'esprit complexé par son besoin de s'expliquer devant chacun. D'abord, par téléphone. Il dit au président d'Etat «Il est important que vous ayez exprimé votre opinion». Ensuite, il soutient le grand Rabbin de Tsahal, le lieutenant-général Israël Weiss. Cela ne l'a pas empêché de vivre une semaine difficile, à la veille d'une nouvelle semaine qui sera encore plus difficile, au cours de laquelle, précise-t-il : «Je dirigerai le retrait de Gaza à partir du mercredi 17 août, de mon bureau de Jérusalem, en ma fonction de responsable du sort de l'Etat». Il apparaît plein de colère, jusqu'à l'amertume. Il est inquiet et déterminé, en affirmant : «Je ne regrette pas. Même si j'avais pu prévoir une résistance aussi forte, je n'aurai rien changé». Il reconnaît, également, que la majorité des membres du Likoud sont, à présent, contre lui. Les membres de son parti préfèrent Benyamin Netanyahou qui a démissionné, la semaine dernière. Cela n'empêche pas Sharon de dire : «Le Comité central du Likoud n'est pas entre les mains de la direction du parti. Des cercles extrémistes se sont emparés du parti. Il y a une propagande, hostile et continue, de la part d'anciens ministres, de députés, de la direction de Yesha et d'éléments fanatiques, au sein du Likoud». «Est-ce que, de votre point de vue, le Likoud est perdu, a demandé le journal Yediot Aharonot» ?. «Il faut lutter contre cela, répond Sharon. Le Likoud est un grand parti, centralisé et important. Avec un passé historique, il traverse une crise. On ne quitte pas sa maison, même si quelqu'un essayait de la prendre. On fait tout pour le repousser. Je suis un élément du Likoud». Par cette réponse, il dément ce qu'il a dit, concernant la réaction des colons évacués. C'est pourquoi, il est probable que les habitants de Gouch Katif lisant cette réponse, souriront avec «amertume» et la réaction de certains d'entre eux sera probablement dure. Par ailleurs , le message de Sharon veut être déterminé : «Je ne compte pas quitter le Likoud !». Même si les sondages indiquent qu'un nouveau parti des vieux, «Sharon – Peres (travailliste) – Lapid (Shinouï)» serait victorieux. Cela n'intéresse guère Sharon, à ce stade. Car, il veut faire le maximum pour regagner le pouvoir dans son parti. Il estime en avoir une chance : «Il est possible que j'aurais dû m'expliquer plus». Sharon s'est pourtant expliqué devant les Américains, et le reconnaît «Je préfère arriver à un accord avec les Américains plutôt qu'avec les Arabes». Tout cela pour attaquer directement Netanyahou. Sharon va jusqu'à rappeler un argument ridicule : «au cours des négociations de Way Plantation, en 1998, il suffisait que je sorte cinq minutes de la salle pour que les Palestiniens, Arafat en tête, reçoivent l'autorisation de construire le port de Gaza. J'ai, donc, dû neutraliser cette concession en créant une commission». Cette «justification» a paru assez exagérée et sans preuve pour que Sharon puisse dire encore dans son interview : «Je ne fais pas attention aux sorties des toilettes de Netanyahou… il m'est difficile de croire qu'il soit resté sept ans “aux toilettes de Way Plantation” jusqu'à sa démission cette semaine». Cet excès est loin de convaincre les journalistes de Yediot Aharonot. Certes, Netanyahou prétend, à présent, qu'il n'a rien accepté dans l'accord de Way Plantation, en présence du président Bill Clinton, du Roi Hussein de Jordanie et du président Yasser Arafat. Pourtant, affirme, encore, Sharon «les Palestiniens ont reçu 13% des territoires, dans le cadre de l'accord d'Oslo appliqué par Netanyahou sans aucune contrepartie». Et il ajoute avec une colère déguisée: «Je ne veux pas m'occuper tout le temps de Netanyahou. Je me souviens de sa rencontre avec Arafat, aves des serrements de main chaleureux. Moi je n'ai jamais serré la main d'Arafat». Sharon a cru devoir, face au sourire méprisant et plein de doute des journalistes, faire preuve d'une «petitesse d'esprit». Le journal Yediot Aharonot pousse donc sa critique «Les Oranges (les manifestants religieux contre le désengagement portant des drapeaux ou des foulards de couleur orange) qui manifestent contre vous, font, pourtant aujourd'hui, la distinction entre l'Etat d'Israël et Ariel Sharon : Pour eux, l'Etat se conduit correctement et il ne les a pas trahis. Sharon et sa famille l'ont volé en une nuit» disent-ils. Sharon répond avec fureur, cette fois encore : «Tout cela est un mensonge. Je n'ai pas de problème avec les critiques, mais cette critique est mensongère. Les colons disent que la famille Sharon les a volés, pour donner l'impression qu'il s'agit d'une «mafia», d'une famille criminelle. Ils veulent convaincre que j'agis pour mon intérêt personnel et non pour le bien de l'Etat. C'est très grave». Le journal insiste sur la réalité de l'esprit de l'accusation de vol contre Sharon, le créateur des colonies depuis 1977 : L'idée vous a-t-elle jamais effleuré, que pour vous sortir des affaires dont votre famille est accusée, vous avez lancé le plan du désengagement de Gaza ? «C'est un des plus gros mensonges et des plus humiliants que vous citez. Il faut avoir un esprit diabolique pour y penser», répond Sharon qui semble cette fois touché, effondré. Il ajoute, «la campagne actuelle de la droite contre moi est comparable à celle de la gauche au cours de la guerre du Liban (Sharon fait, ainsi, allusion au crime de Sabra et Chatila). Qui donc est plus méchante ?», demande-t-il, en essayant de se ressaisir, « La gauche ou la droite ? Les deux savent très bien haïr. Les hommes du peuple ont plusieurs dons : ils savent beaucoup de choses, mais aussi haïr». Sharon affirme encore : «Mes parents ne s'y sont jamais laissé prendre. J'ai probablement reçu, moi aussi, une partie de leurs gènes». Mais il n'arrive pas à convaincre les journalistes d'un quotidien populaire dont la ligne politique est modérée (il représente la classe moyenne du pays). Il s'explique encore, la question du journal l'ayant déséquilibré dans ses certitudes : «Le plan de désengagement de Gaza est né de la conclusion, insiste-t-il, pour s'en sortir vis-à-vis de l'extrême droite du parti qu'il n'y avait pas, alors, de partenaire du côté palestinien. J'ai pensé que, peut-être, le désengagement ferait, en fait, tout contact avec Yasser Arafat. Pour faire plaisir à sa droite, il ajoute curieusement «Entre-temps, le grand «ami» de Netanyahou, Arafat, auquel il a serré la main, est allé dans l'autre monde». Il s'est créé, ensuite, une opportunité de dialogue, ajoute-t-il, pour se justifier : «J'ai rencontré Abou Mazen à Charm-el-Cheikh. Et l'hôtel où nous nous sommes rencontrés, rappelle Sharon pour narguer les Égyptiens aux yeux de la droite israélienne, n'existe plus. Il a été détruit par un attentat marquant la solidarité arabe», ajoute-t-il avec une grimace. Il poursuit sa triste justification : «Je lui ai proposé de coordonner le désengagement de Gaza depuis la coordination continue». En réalité, l'Égypte peut s'attribuer cette initiative et ce rôle vis-à-vis des Palestiniens qui ont été reçus au Caire. D'où probablement l'attentat d'un groupuscule terroriste dans la station balnéaire égyptienne. De Charm-el-Cheikh… Ce qui n'empêche pas Sharon de poursuivre : «Nous n'avons pas encore vu sa réalisation sur le terrain. Mais nous avons conclu avec eux, ce qu'ils doivent faire». En oubliant, cette fois, de reconnaître l'influence de la secrétaire d'Etat Condolezza Rice. «Je savais que le processus se heurterait à des obstacles, continue Sharon. Mais le maintien de notre présence à Gaza devait prendre fin. Le fait, avoue encore Sharon, est que la Bande de Gaza ne figure dans aucun de nos plans politiques ou de colonisation. Je pense que Menahem Begin (premier chef du parti et gouvernement de droite), aurait présenté autrement notre plan». Pour se justifier, encore, à l'égard de la majorité du Likoud qui lui est opposée, Sharon ajoute : «Begin n'avait pas de pareil dans l'art du discours. Je viens d'un milieu où la parole n'avait pas autant d'importance. Je le dis avec tout le respect que je dois à Begin». Selon vos plans, interroge le journal Yediot Aharonot, toutes les principales colonies resteront sous le contrôle israélien ? «Les blocs de colonies resteront sous notre contrôle, déclare Sharon. Mais je n'ai jamais dit qu'ils établissent les frontières dans lesquelles seront ces blocs de colonies. Car, je ne connais pas encore le tracé des frontières entre Israël et les territoires palestiniens. D'autant que toutes les colonies ne seront pas maintenues. La question sera débattue au dernier stade des négociations avec les Palestiniens…» Sharon reconnaît, enfin, le résultat final de la «feuille de route» que lui impose le président Bush ! Cette seule réponse au profit de la pression américaine est pourtant loin de le sauver de l'effondrement de sa prétentieuse attitude habituelle, qui l'a versé, en vain, dans «la tromperie ou le mensonge». Le grand analyste le plus réputé de Yediot Aharonot, Nahoum Barnéa, explique «La même logique qui a mené au retrait actuel va entraîner d'autres dans l'avenir…(Même) s'il n'est pas étonnant que les colons religieux luttent pour leur statut, leur existence, leur foi». Mais le journaliste du quotidien populaire, Alex Fishman, titre : «Le plan de partage» : «A minuit a été franchi le premier pas vers la division du pays en deux Etats, pour deux peuples. Commence (ainsi) la grande marche vers la fixation de frontières reconnues pour l'Etat d'Israël et l'Etat de Palestine». Hier, en effet, qu'on le veuille ou non, le partage a commencé.