Mohamed Berrada, PDG de Royal Air Maroc, juge inadmissible les déclarations des responsables d'Airbus. Il estime que l'appel d'offres sur l'acquisition de quatre long-courriers, et dont seule l'offre de Boeing a été retenue, s'est déroulé dans des conditions normales. Entretien. ALM : Quel commentaire faites-vous de la dernière sortie médiatique du responsable d'Airbus? Mohamed Berrada : Ce sont des propos qui nous ont pour le moins étonnés. Depuis plusieurs mois, j'ai particulièrement suivi les interviews accordées par les responsables du constructeur européen à la presse marocaine. Tous ont fait état de l'excellence des rapports qu'ils entretiennent avec la Royal Air Maroc. Mais leur toute dernière sortie médiatique fait état du contraire. Qu'est-ce qui, selon vous, a justifié cette sortie médiatique ? L'histoire remonte à 2000 lorsque la Royal Air Maroc avait lancé un premier appel d'offres pour l'acquisition de 20 avions moyen et long-courriers. C'était avant ma nomination à la tête de la compagnie nationale. Cette initiative s'inscrivait dans le cadre de la politique d'ouverture que le Maroc avait déjà amorcée dans le secteur aérien. La RAM avait ainsi lancé cet appel d'offres afin de stimuler la concurrence autour du marché marocain et de laisser la place au mieux offrant, et ce malgré le fait qu'elle est une petite compagnie, sa flotte ne dépassant pas une vingtaine d'appareils. Elle ne pourrait donc pas s'offrir le luxe d'avoir des avions de constructeurs différents, vu les coûts engendrés par la formation des pilotes et des mécaniciens. Ce premier appel d'offres s'est déroulé dans des conditions transparentes et Boeing, qui avait formulé l'offre la plus intéressante, avait remporté le marché. Airbus, pourtant beaucoup plus cher sur certains de ses modèles, avait obtenu l'achat par la RAM de quatre de ses appareils. Deux ont déjà été livrés, le troisième sera livré l'année prochaine et le quatrième l'année d'après. Par la suite, nous avons été surpris par une multitude de rumeurs et d'informations, infondées par ailleurs, qui commençaient à circuler mettant en cause le processus de choix de Boeing pour ce marché. Durant cette période, la compagnie a même reçu de nombreuses lettres anonymes abondant toutes dans ce sens. Nos relations avec le constructeur européen, dont les appareils, les A 320 et A 321, sont très performants, se sont améliorées par la suite. Et cinq années plus tard, la RAM a lancé un nouvel appel d'offres, ouvert également aux deux avionneurs, Airbus et Boeing. Sur quoi portait ce dernier appel d'offres ? L'appel d'offres de 2000 portait sur deux long-courriers pour desservir Montréal et New York. C'est le B767 de Boeing qui a été choisi pour remplacer le B 747 déjà en service sur ces deux lignes. Et au lieu de les acheter, la RAM a préféré l'option de location jusqu'en 2009. Depuis leurs mise en service en 2002, ces appareils ont donné satisfaction et ont permis de réduire considérablement les coûts d'exploitation de ces deux lignes, sur lesquelles, il faut signaler, la compagnie enregistrait de lourdes pertes. La réussite de ces deux lignes a même poussé la compagnie nationale à penser à ouvrir dans les prochains mois une ligne pour desservir Atlanta en code-share avec la compagnie américaine Delta. Une ligne qui nous ouvrirait d'avantage le marché américain. Comme le contrat de location des deux B767 arriverait à expiration en 2009, la RAM se devait de réfléchir à leur remplacement. Quels sont les appareils concernés par ce changement ? Ces derniers mois ont été marqués par l'annonce du nouvel appareil Boeing, le B 787 E 7 Dreamliner qui représente de grands atouts, notamment celui de permettre 20% d'économies en carburant, ce qui est très considérable en ces temps où le prix du baril de pétrole atteint des records. Les premières livraisons devraient commencer en 2008. C'est ce qui a motivé le lancement d'un appel d'offres pour l'acquisition de quatre nouveaux long-courriers. Nous aurions pu reconduire le contrat avec Boeing, surtout que le B787 a d'ores et déjà reçu quelque 287 commandes fermes dont 150 de la part de compagnies américaines et européennes, mais nous avions choisi d'ouvrir le marché aux deux constructeurs, surtout avec l'annonce par Airbus de son A 350, qui devrait succéder à l'A 380 dévoilé dernièrement en grandes pompe, mais qui ne devait être livré au-delà de 2010. Nous nous sommes donc adressés, en avril dernier, aux deux constructeurs pour leur demander un dossier complet sur les deux appareils. Alors que Boeing nous a répondu dans les temps impartis, Airbus nous avait demandé un premier report, puis un second. Le dernier délai de dépôt des offres était fixé au 15 juillet. Nous avons reçu l'offre du constructeur de Seattle le 14 juillet et nous l'avons mis sous scellé, les responsables d'Airbus nous ont contacté pour demander un troisième report. Le conseil d'administration, dans lequel, signalons-le, siègent les représentants des ministères des Finances, des Transports, du Tourisme, en plus de la Primature, s'est alors réuni et a décidé de retenir la seule offre déposée dans les délais, sachant qu'Airbus n'a pas pu formuler d'offre. C'est alors que nous avons été étonné par les propos que les responsables du constructeur européen ont tenus la semaine dernière dans la presse nationale. Que reproche Airbus à la RAM concernant ce dernier appel d'offres ? Officiellement, les responsables d'Airbus, en nous contactant pour demander un troisième report, ont prétexté ne pas être en détention de toutes les informations nécessaires à même de leur permettre de faire une offre. Ce qui est totalement faux. Et ce pour de nombreuses raisons. La première est qu'à plusieurs reprises, Airbus avait demandé des informations, de nature technique et financière, sur cet appel d'offres. Et toutes ces demandes ont été satisfaites par écrit. Des informations qui ont par ailleurs été envoyées également à Boeing, comme c'est l'usage dans pareils appels d'offres internationaux. La seconde raison se rapporte à ce que nous n'avons demandé à Airbus qui ne devait nous donner en premier lieu que le prix de ses appareils. Chose que le constructeur était incapable de faire.En clair, Airbus n'avait pas d'offre à formuler. Ces arguments sont donc irrecevables et Airbus a d'autres raisons. Quelles sont ces raisons ? Je ne pourrais répondre à la place des responsables d'Airbus. Tout ce que je pourrais dire est que l'attitude d'Airbus n'a rien de commercial. Parce que lorsqu'on est une entreprise dont le produit est destiné à la commercialisation, l'on adopte une attitude qui va dans le sens d'attirer le plus d'acheteurs potentiels. Et bien sûr, l'on ne pourrait se permettre de mettre un produit sur le marché sans avoir une idée sur son prix. C'est également tout le processus des appels d'offres internationaux de la compagnie nationale qui a été mis en cause. Qu'en pensez-vous ? Il ne faut pas oublier que la RAM est une compagnie nationale. C'est une société anonyme, propriété de l'Etat, qui est gérée par un conseil d'administration dans lequel siègent quatre départements ministériels. En plus de la Primature, il s'agit des Finances, des Transports et du Tourisme. Ses décisions ne sont donc nullement prises à la légère et ne peuvent servir des intérêts privés.