Le procureur du Roi près le tribunal de première instance de Rabat a décidé, jeudi 9 juin, de poursuivre Nadia Yassine en justice pour avoir annoncé dans l'hebdomadaire "Al Ousbouia al Jadida" que la fin de la monarchie était proche. Nadia Yassine ne l'aura pas échappé belle. Si elle avait cherché à être poursuivie en justice pour devenir une héroïne, son voeu a été exaucé. Le contenu de ses déclarations, dans le cadre de l'interview que la fille du Cheikh Abdessalam Yassine, leader du mouvement islamiste Al Adl Wal Ihssane (Justice et bienfaisance), lui a valu d'être accusée d'«atteinte à l'institution monarchique» . Cette décision, prise à son encontre jeudi 9 juin, par le procureur du Roi près le Tribunal de Première instance de Rabat, ne vise pas uniquement la « militante » du mouvement précité. Elle concerne aussi l'hebdomadaire arabophone Al Ousbouia Al Jadida, qui avait publié ladite interview, en la personne d'Abdelaziz Gougas, en tant que directeur du journal. Cette décision fait suite à la convocation, le 3 juin dernier, tant de Mme Yassine que de M. Gougas par la police judiciaire de Rabat. Elle a la particularité de pointer du doigt ce dernier en tant qu' « acteur principal» et « l'auteur» du délit d'atteinte à la monarchie, suivant les articles 67 et 68 du code de la presse. Mme Yassine, elle, est poursuivie pour « participation» au délit précité et pour atteinte au respect dû à Sa Majesté. Dans les deux cas, les deux personnes mises en cause seront jugées le 28 juin. Elles risquent des peines de trois à cinq ans de prison et de 10.000 à 100.000 dirhams d'amende. Contactée par ALM, Nadia Yassine affirme que la décision prise à son encontre n'est autre « qu'une illustration de plus, de tout le ridicule dont le Makhzen est en train de se couvrir ». Et d'ajouter sur un ton on ne peut plus ironique que là est une preuve de tout le degré de démocratie et de liberté d'expression atteint par le pays. « Ce n'est pas moi qui me suis dévoilée en accordant l'interview incriminée, mais c'est bien tous ceux qui font des slogans pseudo-démocratiques leur capital qui ont été démasqués. Force est de constater, non sans amertume, que nous sommes encore à des années-lumière de tous les étendards de liberté d'expression et d'opinion que certains n'hésitent pas à porter, sans même en connaître les véritables significations », nous a-t-elle déclaré. Abdelaziz Gougas va dans le même sens. « La poursuite engagée à l'encontre de notre journal est non seulement une atteinte à la liberté d'expression, telle qu'elle est universellement admise, mais c'est aussi une atteinte aux règles les plus élémentaires de l'intelligence ». Sinon, nous a-t-il déclaré, « comment expliquer que notre journal soit le principal accusé dans une affaire où l'entretien incriminé ne contient que les opinions et positions de Mme Yassine». Pour lui, c'est comme si Al Jazeera devenait le principal mis en cause, pour avoir diffusé une cassette de Ben Laden et que ce dernier est poursuivi pour rien de plus que de la complicité. Et d'ajouter que «nous sommes un journal où ne s'expriment pas uniquement les avis de ceux qui y travaillent, mais aussi, et surtout, ceux de la société et des acteurs qui y jouent un rôle». Marquant sa satisfaction quant au fait que l'interview en question n'a pas dérogé aux règles déontologiques et professionnelles, il souligne que « à travers cet entretien, nous avons fait ce que notre métier et notre devoir nous dictaient. Le reste n'a pas d'importance ». A signaler que le porte-parole d'Al Adl wal Ihssane a été entendu, le même jeudi, par la police judiciaire de Rabat pendant plusieurs heures. A noter que Fathallah Arsalane avait soutenu sur les colonnes d'ALM les propos incriminés de Nadia Yassine.