Le peintre Tibari Kantour expose jusqu'au 15 janvier 2004 à l'Institut français de Marrakech. Ses dernières œuvres confirment l'ingéniosité d'un artiste qui a vaincu le complexe de la page blanche en intervenant sur des supports qui sont déjà des œuvres accomplies. Tibari Kantour a trouvé la parade au complexe de la surface blanche. Oui, cette fameuse page ou toile blanche qui en impose à l'écrivain ou au poète. Ils restent figés devant elle des heures, voire des jours. Par où l'entamer ? Quelle marque peut être une empreinte assez féroce pour entraîner un déluge de mots ou de couleurs ? Cette blancheur, qui a plongé des écrivains et des peintres dans des abîmes de désespoir indescriptibles, ne met jamais Tibari Kantour au pied du mur. Il ne fait pas pourtant partie des artistes au pinceau facile. Il ne jette pas de la peinture à l'aveuglette pour juger après de l'aubaine d'une intervention miraculeuse du hasard. Il ne recourt pas non plus à l'automatisme pour venir à bout de sa timidité. L'intéressé n'entre pas en transe, ne libère pas son inconscient d'un fouillis de couleurs... Tous ces subterfuges qui ont fait leur preuve dans l'affrontement avec la page blanche, et qui ont doté au reste l'Histoire de l'art d'œuvres capitales, sont caducs avec Tibari Kantour. Comment réussit-il à résoudre un problème qui ressemble à une quadrature du cercle pour tant d'autres ? Par l'utilisation d'une surface qui n'est pas blanche. Un support présentant des reliefs, des rugosités, des éraflures, des accidents – d'une telle densité visuelle – que le peintre n'a qu'à y ajouter quelques lignes, le signer pour le hausser à la dignité d'une œuvre accomplie. Où se procure l'artiste cette fabuleuse surface qui ressemble à du prêt à créer ? Il ne l'achète pas, il la fabrique. Autre détail important : comme support à son art, l'artiste utilise presque toujours du papier. Le processus de création dans l'œuvre de Tibari est si important dans sa genèse qu'en fait l'œuvre se confond, dans une large mesure, avec son support. Mais quel chemin avant d'arriver à ce papier qui triomphe du vide de la blancheur. C'est dans la solitude de son atelier à Sidi Maâchou que l'artiste le fabrique. Dans un excellent texte, Edmond Amran El Maleh compare les étapes qui entrent dans la fabrication du papier à une “passionnante odyssée“. De la cuve où baigne la pâte à papier, au châssis dressé, à la presse pour aplatir le papier et y tracer des rides, la route est longue! La patience de la parcourir est récompensée par une œuvre pratiquement faite. L'artiste y intervient ensuite avec économie du point de vue des couleurs. À peine quelques motifs qui sertissent le papier au lieu de le noyer. Et puis, il y a le geste qui rythme l'ensemble de l'œuvre. Kantour imprime avec ses doigts des lignes sur le papier. C'est la moins visible des actions d'un artiste qui a malaxé de ses mains la pâte d'où naît une œuvre qui ressemble à un parchemin.