L'économiste et professeur universitaire, Driss Benali, estime que le gouvernement doit maintenir ou même relever les droits de douane à l'importation, en cas de privatisation des industries sucrières. Pensez-vous que le secteur sucrier au Maroc doit être privatisé et libéralisé ? En fait, le secteur du sucre dans notre pays pose véritablement un gros problème. Comme vous le savez, la canne et la betterave à sucre ne sont pas rentables aujourd'hui. Si nous prenons la décision de nous ravitailler auprès des marchés internationaux, ce serait la fin de ce secteur. En d'autres termes, avant de prendre une telle décision, il faut bien mesurer les effets que la libéralisation risque d'avoir sur les industries existantes et les agriculteurs qui produisent la canne et la betterave à sucre. Dès le départ, pourquoi avons-nous instauré une subvention pour le sucre ? Cette décision remonte aux années 1960. A cette époque, la Banque mondiale avait poussé le gouvernement marocain à investir dans le sucre, un secteur que nos agriculteurs ne connaissaient absolument pas. Il faut également savoir que cette décision avait un soubassement purement politique. C'était dans le cadre du blocus imposé à Cuba dans les années 1960. Le Maroc était, rappelons-le, un des plus importants clients de Cuba pour le sucre. Pour éviter que l'on se ravitaille auprès des Cubains, la Banque mondiale nous a donc incité à produire notre propre sucre. Et c'est aujourd'hui, cette même Banque mondiale qui nous pousse à abandonner cette filière. Comment s'est opérée cette introduction de la production de sucre au Maroc ? Il a fallu engager de très forts investissements pour construire et équiper les sucreries. La formation des agriculteurs a également nécessité du temps et de l'argent. Aujourd'hui, nous assurons entre 60 et 65 % de notre consommation en sucre. Le secteur emploie un nombre considérable de travailleurs de manière directe et indirecte. Même si, il faut le reconnaître, la nappe phréatique est fortement exploitée et que le prix de revient de notre sucre national est nettement supérieur à celui proposé sur les marchés internationaux. Faut-il comprendre qu'à cause de ces deux inconvénients, la libéralisation serait une décision sage? Il ne faut pas oublier les avantages également. J'entends par cela, le nombre d'emplois assurés par le secteur sucrier et l'autosuffisance partielle qu'il garantit au pays. Pour ce qui est de l'emploi, justement, une reconversion des agriculteurs vers d'autres filières serait-elle réalisable ? Sincèrement, je pense que dans le secteur agricole, la reconversion nécessitera plusieurs années, pour ne pas dire plusieurs décennies. Le paysan marocain ne savait pas cultiver la betterave à sucre. Le gouvernement a investi lourdement pour lui apprendre à le faire et mettre sur pied une industrie sucrière. Encore une fois, je pense que la libéralisation de ce secteur serait une catastrophe. Peut-on maintenir ces emplois, tout en privatisant les industries sucrières existantes ? Si cette privatisation est opérée dans la logique strictement capitaliste, je pense que les emplois dans l'agriculture de betterave et de canne à sucre seraient sérieusement menacés. En ce sens que l'industriel risque de s'approvisionner auprès d'agriculteurs étrangers qui vendent leur production moins cher que les Marocains. Dans ce cas, la privatisation de l'industrie sucrière ressemblerait à une libéralisation. Que faut-il faire pour préserver ces emplois ? L'industrie doit être obligée de s'approvisionner d'abord sur le marché national. Il suffit, par exemple, de maintenir ou même de relever les droits de douane à l'importation pour protéger les agriculteurs nationaux.