Entretien avec Rachid Yazami, physico-chimiste et inventeur marocain On ne compte plus les incidents liés à l'explosion des batteries dans le monde. Ce qui présente un réel danger pour les nombreux utilisateurs de ces accumulateurs électriques. C'est dans ce sens que Rachid Yazami, le physico-chimiste marocain connu pour ses multiples distinctions dans le domaine de la recherche scientifique, a récemment développé un nouveau système pour améliorer la sécurité des batteries. Depuis Singapour, le chercheur marocain a dévoilé à ALM comment son invention pourrait révolutionner l'avenir de l'industrie tout en protégeant les utilisateurs des batteries. ALM : Vous avez obtenu récemment un brevet d'invention sur l'amélioration de la sécurité des batteries. Pouvez-vous nous en dire plus ? Rachid Yazami : Les batteries sont des systèmes qui stockent de l'énergie. Ils la convertissent dans les deux sens entre énergie chimique et énergie électrique. Ce sont des systèmes qui concentrent de grandes quantités d'énergie. C'est pour cela qu'on les utilise afin d'alimenter les téléphones portables et les voitures électriques par exemple. Le brevet que j'ai obtenu concerne l'amélioration de la sécurité des batteries. C'est connu malheureusement que toutes les batteries et en particulier les batteries au lithium qui sont maintenant les plus populaires, quand elles sont soit de mauvaise qualité, soit alimentées avec des chargeurs qui ne sont pas adaptés et qui n'ont pas les systèmes de contrôle de la température et de la surcharge, peuvent prendre feu et exploser et donc avoir des conséquences dramatiques puisque la température peut monter jusqu'à 1.000 degrés. Plus concrètement, pourquoi une batterie explose-t-elle et quelle est la solution ? Une batterie peut exploser parce qu'elle a un défaut de fabrication au départ ou parce que le chargeur est de mauvaise qualité ou/et n'est pas adapté mais dans la plupart des cas l'emballement thermique d'une batterie vient de l'apparition d'un court-circuit à l'intérieur. Je vous explique: une batterie est constituée d'une cathode (le pôle +) et d'une anode (le pôle -). A l'intérieur de la batterie la cathode et l'anode sont séparées par un film polymère microporeux qui permet aux ions de circuler mais jamais les électrons. C'est-à-dire qu'il ne faut pas que la cathode et l'anode à l'intérieur de la batterie se mettent en contact direct. Alors, si pour une raison quelconque cette membrane polymère a une rupture quelque part, là où il y a cette rupture il y a possibilité que l'anode et la cathode se mettent en contact et à ce moment-là il y a ce qu'on appelle un court-circuit à l'intérieur de la batterie qui va générer beaucoup de chaleur. Donc localement le film séparateur va commencer à fondre, la surface de contact entre la cathode et l'anode va augmenter et donc il y aura de plus en plus de courant à l'intérieur de la batterie, c'est ce qu'on appelle «une autodécharge». Ainsi, la batterie se décharge à l'intérieur, ce qui va créer beaucoup de chaleur. Et comme il y a un liquide organique utilisé dans l'électrolyte qui permet aux ions de circuler entre la cathode et l'anode, ce liquide organique peut s'enflammer. Une succession de réactions chimiques dans laquelle l'anode et la cathode réagissent ensemble et toute l'énergie qui est stockée dans la batterie va sortir sous forme de chaleur, d'où l'explosion. J'ai donc développé une méthode qui permet de détecter les premiers signaux d'apparition d'un court-circuit à l'intérieur de la batterie. A ce jour, il n'y a aucune technologie fiable qui permet de savoir si une batterie a un court-circuit à l'intérieur. Mon invention consiste à proposer des méthodes qui permettent justement de détecter ce court-circuit à l'intérieur de la batterie grâce à des mesures spécifiques sur la tension de température de la batterie. J'ai mis en place un circuit électronique avec une puce intelligente qui récupère des données sur la batterie et qui les convertit en un signal et le compare avec le signal d'une batterie saine (qui n'a pas de court-circuit). Dès qu'il y a apparition d'un court-circuit, le signal devient différent. Cette puce va informer l'utilisateur sur les batteries qu'il utilise (une batterie dans le cas de téléphone portable ou des dizaines, des centaines ou même des milliers de batteries dans une voiture). Grâce à cette puce on arrive à localiser la batterie qui est en défaut ou qui présente un court-circuit pour pouvoir soit la remplacer, soit l'isoler. C'est-à-dire faire en sorte qu'elle ne fasse plus partie du circuit. En l'isolant, on élimine le risque d'un emballement thermique et par conséquent celui d'un enflammement du pack de batterie. Par exemple : dans une voiture électrique ou même très souvent maintenant à Singapour et partout dans le monde, on utilise les petits scooters électriques ou ce qu'on appelle les trottinettes électriques des fois qui prennent feu parce qu'elles sont mal chargées ou les batteries ont un défaut. Combien de temps vous a-t-il fallu pour arriver à ce résultat? Cela a pris 18 mois depuis le moment où on a fait la demande de brevet. C'est un travail expérimental dans lequel on a pris des batteries de différentes origines et de différents fabricants. On les a testées par rapport aux problèmes de détection des courts-circuits internes. C'est une méthode universelle qui ne s'applique pas seulement aux batteries lithium-ions mais aussi à toutes les batteries dans lesquelles la cathode et l'anode sont séparées à l'intérieur. Avez-vous eu des propositions pour la commercialisation de cette nouvelle invention ? J'ai pris contact avec des partenaires industriels aussi bien dans le domaine de la micro-électronique et de l'informatique, ce qu'on appelle l'industrie du «silicium», que les utilisateurs de batteries en particulier les fabricants de voitures électriques. Tous ces gens-là sont très intéressés par cette technologie évidemment, idéalement c'est que toutes les batteries quant elles sortent des usines soient équipées de cette puce qui permet de détecter les problèmes des batteries et qui permet justement d'en améliorer la sécurité. A priori toute l'industrie que ça soit les fabricants de batteries, les fabricants des systèmes comme les téléphones portables, ordinateurs portables, drones, et puis le secteur électromobile doivent avoir cette puce dans leurs batteries pour permettre d'éviter le plus possible tout emballement thermique. Je suis confiant que dans quelques années cette technologie va être utilisée à l'échelle industrielle.