Encouragement de la R&D et investissement des entreprises dans les ressources humaines. Telles sont les recettes pour garder nos ingénieurs qui résistent difficilement aux offres alléchantes d'entreprises et de centres de recherche européens et américains. La tradition de formation d'ingénieurs est récente au Maroc. Historiquement, la formation des premiers ingénieurs remonte à la période de la deuxième guerre mondiale alors que le pays était sous le protectorat français. En effet, la première école du genre a vu le jour en 1942 à Meknès. Baptisée «Ecole Nationale d'Agriculture», elle était spécialisée dans la formation des profils dans le domaine agricole. Il a fallu attendre les années soixante, pour que le système éducatif s'investisse dans la création d'écoles d'ingénieurs spécialisées dans les filières industrielles. Cinquante ans après, les dizaines écoles d'ingénieurs opérationnelles aujourd'hui sont à l'épreuve de deux contraintes : le phénomène du chômage et la fuite de cerveaux. En effet, selon les estimations de professionnels, les problèmes d'embauche touchent un ingénieur sur six fraîchement diplômés. Paradoxalement, 10 % des lauréats formés annuellement quittent le pays pour s'installer en Europe et en Amérique du Nord. Or, le Maroc ne forme annuellement qu'environ 900 ingénieurs répartis en les spécialités de l'industrie et de l'agro-alimentaire. Le total formé jusqu'à présent est estimé à 25 mille, soit 8,5 pour dix mille habitants. Avec cette «densité» de matière grise, le pays ne répond pas aux exigences des modèles de développement préconisés par les organisations internationales. En effet, pour être un pays émergent, il faut disposer d'une moyenne de 15 ingénieurs pour dix mille habitants. Comparativement à des pays comme la Jordanie, le décalage est patent dans la mesure où ce pays à une moyenne qui dépasse 40 ingénieurs. Aux pays développés, cet indicateur est révélateur du degré de croissance économique puisque au Japon, ce rapport ingénieur/population est de l'ordre de 540. Quant, à la France, ce ratio dépasse la barre de 64. D'ailleurs, les classes préparatoires et les écoles d'ingénieurs sont un grand fournisseur pour le marché de l'hexagone en ressources humaines qualifiées. Une centaine par an sont admises, après le passage du cap des classes préparatoires, par les grandes écoles d'ingénieurs françaises. Une fois le cursus terminé, ces étudiants ne résistent pas aux offres alléchantes des entreprises et des centres de recherche. Ceux qui ont choisi de continuer dans les dizaines d'écoles d'ingénieurs, basées essentiellement à Rabat, subissent le même sort. En effet, 10 % des ingénieurs formés rejoignent les entreprises et centres de R&D américaines, canadiens et Français automatiquement après l'obtention de leurs diplômes. L'ampleur du phénomène de fuite des compétences a amené le professeur Mahdi Elmandjra à parler d'un nouveau concept baptisé "Reverse Transfer of Technology" (transfert inverse de technologie). Parmi les facteurs explicatifs de ce fléau l'incapacité du tissu économique d'absorber des profils pointus avec des exigences salariales élevées. «La majorité des PME-PMI préfèrent une gestion familiale et archaïque de leurs entreprises au lieu de recruter des ingénieurs qualifiés», regrette Mehdi Daoudi, président de l'association des ingénieurs de l'EMI. La faiblesse de l'investissement en R&D aggrave cet état de fait. Le Maroc n'alloue que 0,3 à 0,4 %, de son PIB à la recherche et au développement. Par conséquent, aucune dynamique n'a pas pu être créée au sein des laboratoires de ces écoles d'ingénieurs en vue de conserver cette pépinière de ressources hautement qualifiées. Ces différentes contraintes imposent la réforme des cursus et des modes de gestion de ces écoles. Diverses propositions ont été émises pour parer au problème du chômage et la fuite des cerveaux. Il s'agit notamment du renforcement de l'autonomie des écoles en matière financière et l'encouragement de la flexibilité dans les textes réglementant les programmes de formation. De telles mesures peuvent encourager l'ouverture des instituts sur les entreprises. Déjà des écoles telles que l'EMI, l'ENSIAS et l'INPT ont signé des conventions avec diverses multinationales pour héberger des laboratoires de développement de logiciels et de technologies pointues. L'effort de la R&D doit appuyer ces initiatives. Les chercheurs plaident pour que le budget alloué atteigne le seuil minimum de 1% du PIB. Une mesure qui ne manquera pas d'endiguer au moins le départ des futurs lauréats.