Dans le cadre du festival Mawazine, le chanteur nigérien Fataï a donné un concert samedi dernier à Rabat. Le public s'est déplacé très nombreux à ce concert, opposant ainsi le droit à la vie à la peur de la mort. Et dire que tout le monde craignait que le public ne fasse la sourde oreille au premier des grands concerts à Rabat. Certes, ce samedi soir, de nombreuses personnes avaient un pincement au cœur, mais elles sont venues. Elles ont envahi la grande scène de Rabat, aménagée en plein air près du théâtre Mohammed V, à partir de 19 h. Des étalages de vendeurs de sandwichs étaient disposés par-ci par-là. Ils sont rassurants, parce qu'ils font partie du décor des manifestations qui attirent la foule. Le public était bigarré. Il est constitué de jeunes filles, de jeunes garçons, d'enfants, de femmes habillées en djellaba et d'étrangers. Ces derniers ne se sont pas terrés chez eux, mais ont préféré sortir pour se mêler aux autres dans un rassemblement qui était bien plus qu'un concert. Tous ceux qui sont venus, c'est-à-dire près de 20 000 personnes, semblaient dire que la vie ne saurait être paralysée par les injonctions de la terreur. « Je suis venue sans avoir le cœur à la fête. Mais je suis là, parce qu'il y a longtemps que j'avais programmé d'assister à ce concert. Et y renoncer aurait été de reconnaître que les attentats ont changé quelque chose dans ma vie », dit Mounia, une jeune étudiante à la faculté des lettres de Rabat. Elle n'était pas la seule à afficher une mine distraite avant que Fataï n'apparaisse sur scène. Tout renvoyait aux attentats de Casablanca avec l'impressionnant dispositif d'agents de sécurité. L'espace maintenu vide entre la scène et le public. L'année dernière, les personnes pouvaient toucher la scène ! Et puis, il y avait surtout comme une attente, non pas du pire, mais de la réaction du public à la musique. Le chanteur qui s'est produit ce soir-là était également au courant de la lourde charge qui oppressait le cœur des gens. Il n'y a pas fait d'allusion directe. Il a répété toutefois à plusieurs reprises son attachement au Maroc, « pays de paix ». La vraie réponse du chanteur Fataï aux attentats est venue de sa prestation sur scène. Cet artiste nigérien est âgé de 75 ans. Mais quelle jeunesse ! Il a littéralement enflammé le public. Sa voix, sa danseuse, ses costumes, sa guitare électrique et le très riche orchestre qui l'accompagnait ont propagé un air de vie. Ce guitariste, très connu à Lagos, a la graine festive. Sa musique ne laisse pas insensible. Toute en rythme, elle communique l'enthousiasme. Et puis, il sait maintenir l'attention de son public en éveil. Outre les propos qu'il leur adressait au début de chaque chanson, il leur réclamait également des applaudissements. Le moindre des moments forts de cette soirée consistait à regarder de loin des milliers de mains sillonner, comme un champ de blé, au-dessus des têtes. Certains des artistes invités à Mawazine étaient également présents. Ils ont même fait de l'animation en dansant, en invitant le public à danser. Leur queue leu leu était si longue qu'elle traversait, par moments, toute la largeur du terrain où est dressée la scène. Ce premier concert a réconforté le public. Même si rien ne peut faire oublier les attentats de Casablanca, leurs auteurs n'ont pas réussi à semer la peur et la panique dans le cœur des Marocains et des étrangers vivants ou en visite au Royaume. Lors de ce concert, un homme était particulièrement heureux. Il regardait le public manifestement ravi, balançait très doucement au rythme de la musique. Il s'agit de Chérif Khaznadar, le directeur artistique du festival Mawazine. Il a tout mis en œuvre pour que l'édition de cette année soit d'une qualité égale ou supérieure à celle de l'année dernière. Lui, d'autres organisateurs et surtout le public se sont ralliés pour ne pas céder aux bruits de la terreur. C'est aussi une réaction valable pour empêcher les terroristes de réussir leur coup.