Dans le cadre du festival Mawâzine Rythmes du monde, qui débute le vendredi 16 mai à Rabat, de nombreux peintres marocains vont ouvrir leurs ateliers au public les 17 et 18 mai. L'intrusion d'un regard étranger dans l'espace clos d'un artiste est un événement tellement rare. Explications. Des peintres habitant à Rabat et à Salé vont ouvrir leurs ateliers au public du17 au 18 mai. Le peintre et son atelier. Il s'agit d'une relation si intime que certains artistes jugent comme une violation totale le fait qu'un regard étranger s'empare du lieu où ils luttent pour donner corps à leurs tableaux. Nombre d'entre eux maintiennent ce lieu fermé à leurs femmes. Elles n'ont pas le droit d'y mettre les pieds. C'est dire le privilège que représente le fait d'y pénétrer. Il existe un jeu d'échanges, voire une véritable osmose entre le peintre et son lieu de travail. Le matériel (tubes de peinture, pinceaux, pigments, toiles, etc.), et divers objets traînant par terre apportent une instruction originale non seulement sur l'artiste, mais également sur l'esprit qui enveloppe son œuvre. L'état d'ordre ou de désordre d'un atelier donne déjà une idée sur le travail de l'homme qui l'occupe. Cet espace permet aussi de se saisir du moi non social de l'artiste. Il ne s'agit plus de cet artiste apprêté, enveloppé dans une stature composée. Mais de l'homme qui se meut dans un espace, témoin de ses angoisses, de ses abdications, de sa fatigue et ses ratés. Ce visage que le peintre dérobe à tous et qu'il libère une fois seulement qu'il est absorbé dans son travail, le visiteur ne pourra pas toutefois s'en emparer. La plupart des artistes qui participent du 17 au 18 mai aux « Ateliers portes ouvertes » ne vont pas travailler en face du public. Le peintre Mohamed Kacimi avait longtemps appelé les artistes à ouvrir leurs ateliers au public, une fois par an, dans le cadre d'une opération nommée le « printemps des ateliers ouverts ». Il a écrit à cet égard dans son livre intitulé « Parole nomade » : « Ouvre ton atelier aux visiteurs : ainsi tu ouvres des portes fermées sur toi-même, sur tes expériences artistiques ; tu ouvres la porte au dialogue, tu ouvres un dialogue avorté au début et gelé par des ambiguïtés qui n'ont rien à voir avec la création ». Il a beau louer les mérites de cette opération, il nous a dit : « je ne peux pas peindre en face du public. Je rentre d'un voyage et mon état physique ne me permet pas en ce moment de travailler ». Il ajoute que cette journée sera un «moment d'accueil». Moment d'ouvrir son espace aux autres, d'établir le contact et d'échanger des propos. Pareil pour le peintre Bouchta El Hayani qui précise que le but qu'il assigne à cette opération consiste à faire découvrir son espace à son public. Il précise qu'il lui est impossible de se mettre à l'œuvre sans effacer le visiteur. Bouchta El Hayani entretient en effet un rapport très physique avec la peinture. Il met une blouse avant de s'engager dans une partie de peinture. L'acte de peindre participe de la lutte pour cet artiste. Il y est manifestement hors de lui ou tout dévoué à une force qui le tient en dehors de tout ce qui ne se passe pas entre la peinture et lui. Les visiteurs ne se seraient pas toutefois offensés de son indifférence souveraine. L'un des rares peintres qui ne dénient pas la possibilité de travailler en face du public est Fouad Bellamine. «Ça dépend de l'ambiance qu'il y aura dans l'atelier et de l'intérêt des visiteurs pour mon travail. Si ce public demande à me voir travailler et si j'en ressens le besoin, je le ferai», nous dit-il. Ce peintre va montrer ses derniers travaux. En plus des trois artistes précités, les peintres qui participent à l'opération «Ateliers portes ouvertes» sont Aïssa Ikken, Karim Bennani, Hassan Slaoui, Mohammed Chebaâ, Mostapha Boujemaoui, Rachid Rhenimi, Fatima Hassan El Farouj, Asma Lahkim Bennani, Abderahman Meliani, Aziz Sayed et Miloud Labied. Ce dernier n'est pas très chaud à l'idée d'ouvrir son atelier au public, parce que le public fait la sourde oreille à l'appel des ateliers des artistes. « L'année dernière, ce n'était pas extraordinaire ! Les seules personnes qui se sont déplacées sont celles que j'ai appelées par téléphone », précise le peintre Miloud Labied. Il ajoute que cette opération constitue juste « des légumes sur du couscous » dans le cadre du festival Mawâzine. Elle n'est pas prioritaire ! Un couscous sans légumes n'est pas cependant un vrai couscous. Aux organisateurs de cette manifestation de mettre pleins feux sur l'intimité des peintres, en promettant au public le meilleur des couscous avec ses légumes.