Le brigadier de police qui a tué à l'arme à feu sa femme avant de se donner la mort a été enterré, dimanche, à Oued Zem, sa ville natale, alors que sa femme a été inhumée à Casablanca. Une histoire tragique qui a fait d'un enfant de 5 ans un orphelin. Nous sommes mardi 22 mars, à la rue Djibouti, donnant sur boulevard Moulay Youssef, à Casablanca. Il est 20h. Un beau petit garçon tient par la main une jeune fille. Il lui lâche la main et court vers son grand-père. Avec un beau sourire lui ornant le visage, il s'accroche à ses jambes. Il lève sa petite figure ronde pour le regarder sans cesser de sourire. Instinctivement, son oncle maternel et trois autres hommes qui discutaient avec son grand-père, se penchent pour l'étreindre. Plein de joie, il alterne ses regards innocents d'une personne à l'autre pour finir par cacher son visage entre les jambes de son grand père. «Le voilà, il ne sait même pas ce qui se passe autour de lui…», balbutie son oncle maternel, les joues trempées de larmes. L'enfant relâche enfin les jambes de son grand-père et court pour rentrer à la maison. Il s'appelle Imad. Il vient d'éteindre sa cinquième bougie. «Nous avons fêté son cinquième anniversaire le mardi 8 mars», affirme son grand-père. Personne n'aurait pu se douter, en cette Journée internationale de la femme, que Imad, qui était entouré de sa mère, Hayat, de ses grands parents et de ses oncles maternels deviendrait, onze jours plus tard, orphelin de père et de mère. La famille pensait que dans le pire des cas, Imad serait l'une des victimes du divorce. Malheureusement, samedi 19 mars, vers 9h du matin, toute sa vie a été bouleversée. Son père, Salah Dihan, 47 ans, brigadier de police, a tué sa femme, Hayat Jalil, 38 ans, de deux balles dans la tête, tirées d'un Beretta 7,65mm, avant de se suicider en se tirant une balle dans la bouche. Une tuerie, qui n'a rien à voir avec une séquence de film policier, a mis en émoi les gens qui se trouvaient ce jour aux café et boulangerie Omar Al-Mokhtar, les clients du publiphone et le policier de faction devant la porte du commissariat Al Oulfa, ainsi que les clients des deux cafés situés de l'autre côté du rond-point Espace Omar Al Mokhtar. Connue maintenant de tous, l'histoire a défrayé la chronique judiciaire depuis ce samedi noir pour les deux familles Dihan et Jalil. Mais beaucoup de zones d'ombre persistent. Pourquoi cette horrible tuerie ? Quelles sont les circonstances qui peuvent pousser un policier à user de son arme à feu pour tuer sa femme et se suicider ? Y a-t-il une logique au fait de perpétrer un double crime pour laisser un enfant innocent, de cinq printemps ? Le brigadier jouissait de l'estime et du respect de ses collègues, qui ne retiennent de lui que sa bonne conduite, son dévouement et son sérieux. Que ce soit à la Sûreté de Hay Hassani-Aïn Chok où il a travaillé durant plusieurs années, notamment à la salle de trafic, ou encore à la préfecture de police de Casablanca-Anfa où il a été muté, personne ne trouve rien à redire sur son comportement avec ses amis et collègues. Il fumait, mais ne buvait pas, disent les uns. D'autres affirment qu'il lui arrivait, parfois, de prendre quelques bières, sans abuser. Une remarque que partage le père de la défunte, Mohamed, avec ces policiers qui attestent que le suicidé prenait l'apéritif de temps en temps. «Je ne l'ai jamais vu en état d'ivresse, mais ma fille me l'avait affirmé», affirme le père de Hayat et beau-père du brigadier. Le père a ajouté que la relation entre sa fille, Hayat, et le brigadier, Salah, remonte à une dizaine d'années. Ils se sont fiancés en 1993 et ne se sont mariés qu'en 1999. L'année suivante, leur foyer a été égayé par la naissance de Imad. «Il semblait être sérieux pour fonder son foyer…Il souhaitait sa pérennité, sinon pourquoi aurait-il acheté cet appartement à Al Baraka (logement économique) en empruntant 168.000 dirhams de la banque, alors que son salaire n'atteignait pas les 3.000 dirhams ?», s'interroge une source policière proche de l'enquête sur la tuerie d'Al Oulfa. Le père de la défunte n'est pas du même avis. «C'est ma fille qui a fourni l'avance de l'appartement du lotissement Al Baraka, à Hay Hassani, alors que Salah s'est chargé de verser les traites mensuelles… », explique le père. Hayat était employée dans une entreprise de bâtiment (Kaâb) située au quartier Al Oulfa. «Elle travaillait dans la même société depuis 14 ans, avant son mariage», ajoute le père. Mais que s'est-il passé entre les deux époux pour que leur vie conjugale bascule en un clin d'œil? Personne ne semble avoir le moindre écho sur la tension qui envenimait leur relation. «Ni nous, ni la famille de Salah ne sommes au courant de leurs problèmes…Ils étaient discrets », dit le frère de Hayat. Une réserve qui a mal fini, puisqu'ils n'ont pas pu résoudre amicalement leurs problèmes. Chaque foyer à ses propres problèmes. Mais ces derniers ne poussent pas à tuer et à se suicider. Quels pourraient être ces problèmes qui ont fait qu'un policier qui veille sur la sécurité des citoyens devienne un tueur ? «Ma fille n'a pas pu supporter toute seule les dépenses du foyer comme si elle n'était pas mariée». C'est du moins ce que sa fille lui aurait dit lorsqu'elle était venue lui annoncer sa décision de porter plainte pour réclamer le divorce. «A part la traite mensuelle, il ne versait pas le moindre sou…C'est elle qui se chargeait de tout, même des frais de scolarité de Imad», ajoute le père. Pourquoi une femme déciderait-elle de se séparer de son mari et de garder un enfant loin de son père ? «Il peut y avoir d'autres circonstances que seul Dieu sait », fait remarquer un policier qui était proche du défunt. En retournant chez ses parents, Hayat a passé deux mois chez eux avant de décider de vivre seule avec son enfant. Son père l'a soutenue. «Je lui ai donné un acompte de 150.000 dirhams pour avoir son propre appartement au lotissement Zoubir, quartier Al Oulfa », ajoute-t-il. Pourquoi n'ont-ils pas attendu que la procédure de divorce, qui est encore entre les mains de la justice, soit tranchée définitivement ? En supposant même que la décision de la justice soit en faveur de la femme, ne pensaient-ils pas que le mari suivrait les traces de son ex-épouse durant tous les mois de l' “Îdda“ ? « Elle devait prendre ses précautions…C'est à ce moment que l'intervention de la famille de la fille devait avoir eu lieu pour la garder avec elle », remarque un policier proche du brigadier. Cependant, le père de Hayat a expliqué que cette dernière a souhaité occuper un appartement situé près de l'entreprise où elle travaille et de l'école, Al Mahd. «De plus, ma fille n'habitait pas seule dans l'appartement, elle était accompagnée de son unique enfant et d'une femme de peine et sa petite fille », atteste le père qui tente d'éloigner tout ce qui pourrait atteindre à l'honneur de sa fille. Le jour “J“, elle est sortie de chez elle pour se rendre à son emploi. Seulement, elle a remarqué la présence de son mari, planté devant elle, un journal à la main. Il était vêtu d'une djellaba de couleur beige. Aussitôt, elle a téléphoné à son père depuis son portable. «Je lui ai dit qu'il ne pouvait rien lui faire et qu'elle ferait mieux de retourner chez elle », affirme le père. Elle est retournée à la maison, comme a témoigné la bonne, mais elle est sortie une fois encore pour aller à son travail. A-t-elle pris un taxi ? A-t-elle marché ? Le mari l'a-t-il suivie ? Est-il monté avec elle à bord d'un taxi ? L'a-t-il suivie à bord d'un autre taxi ? Un tas de questions qui restent sans réponse. Ce qui est certain, c'est qu'elle ne peut parcourir à pied la distance entre son appartement et le lieu de crime en une vingtaine de minutes. «Je lui ai téléphonée vers 9h pour lui demander des nouvelles, elle m'a répondu qu'elle se sentait «bien», sans me dire s'il était en sa compagnie ou pas », affirme son frère, Rachid. Quelques secondes plus tard, trois détonations ont secoué les riverains du rond-point Omar Al Mokhtar mettant fin à la vie d'un couple et d'une histoire qui reste avec des zones d'ombre.