Dans cet article, Robert Assaraf aborde les enjeux de la politique intérieure d'Israël dans la perspective d'élections anticipées et la menace qui pèse à terme sur le Premier ministre israélien. Si le 31 mars 2005, le Parlement israélien n'a pas voté le budget de l'année en cours, il sera automatiquement dissous, selon la loi constitutionnelle. Le chef du gouvernement, Ariel Sharon, a, donc, dès la semaine dernière, annoncé qu'il soumettrait à la Knesset (Parlement), le 16 mars 2005, pour un vote définitif du budget officiel. Selon son calcul, devant le risque d'une dissolution, le budget au pire, passera in extremis, à la seconde lecture le 31 mars 2005, date limite. Et l'analyste du quotidien Haaretz, Yossi Verter évalue : soit grâce aux voix du parti de gauche Yahad (Ensemble), soit celles du Shinouï (parti laïc modéré), voire même celles de quelques uns des « rebelles» du Likoud (section d'extrême-droite), qui craindront pour leur mandat de député. Soudain, il est constaté, sans aucune explication, la semaine dernière, que Sharon décide qu'il n'y aura pas de session de rattrapage et que le vote du budget 2005, aura lieu en dernière minute, le 31 mars prochain, sans possibilité d'appel. En fait, Sharon a décidé « de jouer le tout pour le tout, à la vie ou à la mort », juge Yossi Verter. Qu'est-ce qui a pu pousser Sharon à changer, ainsi, d'avis ? La réponse de l'analyste du grand quotidien est claire : l'éventualité d'atteindre un vote favorable des 61 voix constituant la majorité de la Knesset… La décision nouvelle a été, ainsi, expliquée à Ariel Sharon : si le budget tombait par un vote négatif le 16 mars 2005, il faudra le représenter le 31 mars, avec le risque de ne pas pouvoir trouver de majorité en aussi peu de temps. En conséquence, il apparaît que dans une ambiance de fin de législature, et, donc, de l'imminence d'élections, les députés, en particulier ceux du Likoud, cherchent à sauver leur siège, voire même en sacrifiant Ariel Sharon. Pour cela, rappelle encore Yossi Verter, il suffirait que 61 députés, - une nouvelle majorité -, présentent le nom d'un nouveau candidat capable de remplacer Sharon à la tête du gouvernement : il s'agit, évidemment, de Benyamin Netanyahou… Dans un premier temps, le chef de l'opposition, le président Tomi Lapid, s'étant juré de faire tomber Sharon en votant contre le budget 2005, pourrait s'allier à Netanyahou. De même que deux députés isolés, dont un ancien ministre du Shinouï. Il ne restera plus à Netanyahou qu'à rallier les 13 députés rebelles du Likoud : soit au total 56 députés. Il faudra, encore, trouver 5 députés parmi ceux qui s'interrogeront s'ils doivent se suicider en tant que députés au profit de Sharon, ou bien passer le pouvoir à un autre dirigeant. Mais, Netanyahou ne pourra allier le Shinouï aux 13 rebelles du Likoud qui, étant d'extrême droite, sont contre le désengagement de Gaza. Dans un deuxième cas, le renversement – avant le 31 mars -, d'Ariel Sharon par un vote de défiance organisé par Benyamin Netanyahou, dit Bibi, permettra de former un gouvernement, avec la droite et les religieux, rejetant le désengagement avec 70 députés, soit 40 du Likoud, 11 du Shass, 5 du Yahadout Hatorah, 7 de l'Ihoud Léumi (extrême droite des Russes) et 5 Mafdal (Parti national religieux soutien des colonies), ainsi que les deux députés isolés. Yossi Verter va jusqu'à supposer une autre possibilité d'une coalition, - peu probable, - dirigée par Netanyahou, composée des 40 députés du Likoud, 18 du Shinouï et de toute la droite, y compris les partis religieux, sauf le Shass. Dans tous les trois cas, le budget 2005 passera, alors, sans aucun problème le 31 mars 2005. De plus, il sauvera les députés bien assis dans leurs fauteuils parlementaires. Le quotidien Haaretz écrit, alors : « Sharon reviendra à sa ferme et pourra écrire son autobiographie »…Mais Sharon, ayant étudié ces scénarios, a pris peur. Car, il sait qu'à l'heure de l'épreuve, il ne peut compter que sur lui-même, son fils Omri (toujours sous le risque judiciaire) et, peut-être, Ehoud Ulmert. Il n'a aucune preuve que Netanyahou mène ou pense à de telles manœuvres, mais « tout, en politique, constitue un sable mouvant». D'où la grande défiance de Sharon à l'égard de Netanyahou qui continue à affirmer sans vergogne : « Le budget passera. J'en suis assuré, non à 90% mais à 100% »… Le ministre des Finances (Bibi) est convaincu, donc, que le budget passera, au mieux, à la dernière minute… Il est sans inquiétude et c'est, justement ce qui inquiète Sharon, ironise Yossi Verter. Sharon ne sait pas si le calme de son ministre concerné correspond à sa certitude de faire passer le budget. Ou seulement parce qu'il est sûr de faire chuter Sharon. C'est cette crainte qui semble, selon Yossi Verter, convaincre Sharon que Netanyahou « ne bouge pas le petit doigt pour faire passer son budget, voire même qu'il œuvre à sa manière pour démontrer son échec probable »… Dans le parti d'opposition Shinouï, le député Abraham Poraz, adjoint de Tomi Lapid, a lancé « un ballon d'essai », cite encore Yossi Verter : « Notre parti est disposé à revenir au gouvernement aux côtés de Yahadout Hatorah, sans continuer à exiger l'annulation de la dotation des 65 millions de dollars, qui a été accordée à ce parti orthodoxe ashkénaze, pour son entrée au gouvernement ». Dans l'entourage de Sharon, tous savent que Tomi Lapid a fait « l'erreur de sa vie » en quittant la coalition gouvernementale sur un prétexte de «subvention » accordée à Yahadout Hatorah, ce qui est devenue futile dans le monde politique israélien. Il souhaiterait, à présent, y revenir. Mais face à la décision du Comité central du parti Likoud, le Shinouï n'a aucune chance de revenir au gouvernement. Une coalition large de 76 députés, avec le Likoud, les travaillistes et le Shinouï, est exclue. C'est pourquoi les remous dans le Shinouï démontrent la crainte d'une punition de leurs électeurs, s'il allait jusqu'à causer la chute du gouvernement Sharon en votant contre le budget. Il remettrait, par cette opposition, en question le désengagement de Gaza, auquel ses électeurs sont dans une quasi unanimité favorable. Quant au parti de gauche, Yahad (Ensemble), Yossi Beilin, son président, explique « la situation est impossible face au vote du budget, entre le rejet de son contenu et la volonté de ne pas faire tomber Sharon, au profit de Netanyahou, en plein milieu du plan de désengagement ». Le président de Yahad est définitivement décidé à voter en faveur du budget sans rien demander en contrepartie, contrairement à la tendance de certains de ses militants. De son côté, rapporte Yossi Verter dans le quotidien Haaretz, l'ancien président du Meretz, ayant fusionné avec le parti Yahad, malgré son opposition idéologique et personnelle à l'égard de Sharon et du Likoud, en général, finira probablement par approuver le budget à la Knesset, « si le sort du gouvernement ne dépendait que de sa voix ». Les analystes considèrent, enfin, que grâce au vote favorable ou une simple abstention des deux députés arabes (druzes) de la Knesset (sur les dix, au total), le budget 2005 pourra passer à une ou deux voix de majorité. Cela demeure un risque que Sharon saura prendre, s'il veut sauver son gouvernement et siéger, avec la Knesset actuelle, jusqu'en novembre 2006. Mais une seule question demeure, va-t-il garder alors au gouvernement Benyamin Netanyahou ?…