L'appartement 22 fait encore parler de lui. Cette fois-ci, c'est l'artiste Mostafa Boujemaoui qui y construit une œuvre contemporaine en trois étapes. Work in progress, SuperTea 1, SuperTea 2 et SuperTea 3 vous invitent à voir, sentir et écouter le thé. Dès que l'on franchit le seuil de la porte du petit appartement d'Abdellah Karroum, ça sent le thé. Un fin parfum de laque et de poussière des champs remplit les narines du visiteur. Il ne s'agit pas de l'odeur d'un thé infusé, mais de feuilles de thé séchées. L'œil raffermit l'impression de l'odorat. Une installation immense instruit sur la source du parfum. Des grains de thé ont été collés les uns aux autres de façon à configurer un «verre de ma vie». Mostafa Boujemaoui a commencé par superposer les couches de feuilles séchées sur une mince feuille en contreplaqué. L'assemblage des grains de thé s'est opéré sur le sol. Cette horizontalité constitue seulement une étape dans la fabrication de l'œuvre. Car, au final, la plaque de bois et son contenu ont été élevés verticalement et adossés à un mur. A vue d'œil, cette œuvre est d'une longueur qui dépasse les 2 mètres. Quelques grains, qui se sont peut-être désagrégés de l'ensemble, jonchent le sol. Des champignons apparus par-ci par-là attestent l'aspect organique de SuperTea1 – qui ne peut s'appréhender indépendamment d'un grand miroir qui lui fait face. Ce miroir répète l'œuvre, en même temps qu'il intègre le spectateur dans l'espace de la création de l'artiste. Inutile de dire que le visiteur devient un protagoniste de cette installation. Il ne peut regarder l'assemblage de grains de thé dans le miroir sans que l'image de son corps ne s'interpose entre l'œuvre et son reflet. Cette façon d'introduire le spectateur dans SuperTea 1 est prémonitoire du rôle qu'il lui est assigné dans le cheminement qui va mener cette installation à son apparence définitive. Mais c'est encore trop tôt, car le spectateur est invité à apprécier SuperTea 2 qui sera inaugurée jeudi 13 mars à 18h 30. La vidéo intervient dans cette étape de la création de Boujemaoui. Cette vidéo montre «un verre de ma vie» qu'une main invisible remplit avec des feuilles de thé séchées. La chute du thé dans le verre est très lente. Elle porte peu à peu le verre à son comble, produisant au passage un bruissement régulier. Le verre déborde de grains sans provoquer l'interruption de l'averse de thé. La pluie de grains continue inlassablement sur le verre qui disparaît peu à peu sous l'amas de thé. Il est enfoui complètement -enterré- mais la forme pyramidale que prend le tas de thé atteste sa présence. Cette forme se fait, se défait, se refait. Le spectateur assistera ainsi à la naissance d'une forme qui subit plusieurs transformations. Au demeurant, l'image de l'écran ne cessera de renvoyer au thé réel. Bien plus, elle sera projetée contre le mur orné par l'amas de thé en forme d'un gigantesque verre de ma vie. Dialectique entre l'image et sa réalité, entre la copie et l'authentique, entre l'accompli et le geste qui le défait. Dans le film, le verre a été enterré sous le poids du thé qu'il a appelé. Dans l'œuvre, les grains de thé dessinent la forme du verre enfoui dans l'image. Le thé fait ainsi disparaître le verre dans l'image, et révèle sa présence dans l'œuvre accrochée au mur. La projection de cette vidéo sera précédée par une intervention de l'écrivain Youssouf Amine El Alamy. Il fera une lecture de textes sur les boissons, et parlera de la similitude que présente l'installation de Mostafa Boujemaoui avec la page raturée. Cet écrivain dit n'avoir pas le complexe de la page blanche, mais celui de la page saturée. Pas moyen d'écrire une phrase sans que d'anciennes lectures ne s'interposent. «J'écris avec une gomme», dit-il. Quant à SuperTea 3, son inauguration aura lieu le 19 mars. Les spectateurs seront conviés à la réalisation de cette œuvre. Un tapis de grains de thé vert couvrira la petite galerie. Les visiteurs devront marcher sur ce tapis vert, provoquant de multiples craquements et réduisant en poussière la matière d'où naissent les œuvres de Boujemaoui. C'est à ce prix-là que cet artiste peut mener à son terme son installation, en y introduisant le sens qui manquait : la sonorité.