Une société responsable et respectueuse des droits humains ne devrait pas voir autant de bébés, et même d'enfants de tous âges, abandonnés quotidiennement dans ses rues, souligne Mme Aïcha Ech-Channa, présidente de l'Association solidarité féminine. Entretien. ALM : L'histoire de l'adoption se confond avec celle de l'enfance abandonnée. Quelles sont les procédures de cet acte juridique dans notre société ? Mme Ech-Channa : L'histoire de l'enfance abandonnée est effectivement liée à celle de l'adoption. Au Maroc, la plus grande partie des enfants abandonnés sont des enfants de mères célibataires. Or, celles-ci, aussi bien au niveau de la législation que de l'opinion publique et des mentalités, n'ont strictement aucune protection et rien n'est mis en place afin qu'elles puissent envisager de garder leurs enfants et de les élever dans des conditions dignes et décentes. En effet, ces femmes sont exclues et marginalisées dès le moment où elles sont enceintes et qu'elles le dévoilent. Ce rejet est tout d'abord le fait de leur famille et de leurs proches puis de toute la société, de l'opinion publique et des autorités, aucune loi ne les protégeant. Si, un jour, des procédures sont mises en place pour résoudre le problème à la source, alors, à ce moment, je pense que le nombre d'enfants abandonnés diminuera. Une société réellement responsable (au sens d'avoir des responsabilités) et respectueuse des droits humains ne devrait pas voir autant de bébés, et même d'enfants de tous âges, abandonnés quotidiennement dans ses rues. La procédure d'adoption, appelée Kafala, constitue une prise en charge d'un enfant par les parents adoptifs par acte adoulaire, après la réalisation d'une enquête sociale et administrative sur les parents en question, et ce par le représentant des autorités, en général le wali. Cependant, ni la Kafala, ni l'acte d'adoption, ne peuvent remplacer et se substituer au travail de fond qu'il faut effectuer afin de protéger la mère (naturelle) et l'enfant, dès le départ. Est-ce que l'adoption permet de créer des rapports analogues à ceux qui résultent de la filiation naturelle ? Je dirais que, concernant les relations parents-enfants, tout dépend de la famille dans laquelle on vit et de la nature de chaque être humain. Les rapports qui se tissent entre l'enfant et les parents adoptifs ne sont pas calqués sur le seul critère de l'adoption. Dans une situation d'adoption, tout comme dans une situation de filiation naturelle, les relations se créent en fonction de la psychologie et du caractère de chacun, de l'enfant comme des parents. Dans le cas de l'adoption, deux situations sont notables. D'une part, l'enfant peut être « surprotégé » par ses parents adoptifs. Ces parents ont tellement désiré un enfant, qu'il le considèrent totalement comme s'il était issu de filiation naturelle. D'autre part, l'enfant peut être rejeté voire abandonné à nouveau, en étant confié à l'Etat. En effet, certains parents regrettent parfois d'avoir adopté un enfant, du fait des problèmes psychologiques et/ou physiques que celui-ci peut présenter. Tout comme dans le cas d'une filiation naturelle, les rapports peuvent parfois être très bons comme très difficiles ; dans le cas de l'adoption, une prise en charge peut être parfaitement réussie tandis qu'une autre peut être très problématique. Je pense sincèrement, que, quelle que soit la situation, l'enfant finit par rechercher ses racines et en particulier sa mère. Rien, à mon avis, ne remplace une « vraie mère». On peut comparer cette situation à celle des enfants nés sous X en France. Le mal-être, la souffrance psychologique que tous connaissaient du fait de ne pas savoir d'où ils venaient, les a poussés à intenter un procès afin d'obtenir un droit à la connaissance de leur origine, de leurs racines. Quels sont les problèmes d'ordre psychologique et moral que pose l'acte de l'adoption ? Je ne pense pas pouvoir bien répondre à cette question. Seul un psychologue pourrait y répondre clairement et être sûr de ce qu'il dit. Cependant, je dirais qu'un enfant est toujours mieux dans une famille que dans un orphelinat, mais seulement si la famille a bien compris son rôle. L'enfant adopté est un être à part entière et il doit (il en a le droit) pouvoir grandir et vivre en connaissant la vérité sur sa propre histoire et dans le respect de celle-ci. Si l'enfant est adopté à un très jeune âge, est-ce que les problèmes, d'ordre psychologique et moral, sont limités ? Je pense encore que seul un psychologue a les compétences pour répondre à une telle question mais d'après moi, plus un enfant est adopté jeune, plus les souffrances, en particulier dues aux changements et aux manques de repères humains dans son entourage, peuvent être limitées. Quel est à votre avis l'âge le plus favorable pour l'adoption ? L'âge le plus favorable pour une adoption est quand l'enfant est encore un nourrisson. Plus l'enfant avance en âge, plus il sera exposé à des risques. Un enfant adopté alors qu'il n'est plus un bébé rencontre le risque de devenir un travailleur, ou plutôt un esclave pour sa famille. En effet, beaucoup d'enfants, principalement des fillettes, mais cela existe également pour les garçons, finissent par être les « petites bonnes » ou les « petits boys » dans leur famille et ce bien évidemment, sans aucune rétribution, ni aucun salaire.