Gigantesques manifestations de pacifistes dans 300 villes à travers le monde. Washington accuse Paris et Berlin d'ingratitude. La résistance opposée par le tandem franco-allemand à toute implication immédiate dans une guerre en Irak risque de pousser l'ensemble européen à surmonter ses divergences. L'Europe, qualifiée de «vieux jeu» par le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, est en train de saisir les vraies visées des Etats-Unis sur le Golfe, qu'elles estiment contraires aux principes qui fondent la communauté internationale. Des pays comme la Russie et la Chine se joignent à la France, à l'Allemagne et à la Belgique pour condamner l'expansionnisme américain. Ce ralliement est de nature à conforter le camp de la paix au sein du Conseil de sécurité. L'OTAN a échoué à obtenir un compromis sur l'Irak, la veille d'un nouveau rapport des chefs des inspecteurs de l'ONU, la France, l'Allemagne et la Belgique ayant bloqué l'adoption de mesures qui enfermaient l'OTAN dans une logique de guerre. Le secrétaire d'Etat, Colin Powell a accusé ces pays de sauver la mise à Saddam Hussein en s'opposant à une action militaire contre l'Irak. Le président russe, Vladimir Poutine, a menacé de recourir à son droit de veto s'il le faut. «Nos positions avec la France sont pratiquement identiques, a-t-il souligné. Les Etats-Unis ont été appelés à prendre au sérieux les propositions formulées par les Européens pour désarmer l'Irak. Leurs réactions ne semblent pas s'inscrire dans le sens de cet appel: Washington cherchant à court-circuiter Paris, Berlin et Bruxelles. Richard Perle, conseiller du Pentagone a dit s'attendre à ce que l'Allemagne renoue, le temps venu, une bonne relation avec Washington, le chancelier Gerhard Schröder ayant, a-t-il affirmé, adopté sa position anti guerre dans le cadre d'une campagne électorale serrée. ;Quant aux Belges, ils «font ce que les Français leur demandent de faire, de sorte que je ne pense pas qu'ils comptent beaucoup»,a jugé le conseiller du Pentagone. Mais l'opposition de la France reflète une volonté si grande de construire l'Europe comme contrepoids aux Etats-Unis que ces derniers n'ont d'autre choix que de mettre en place une stratégie de défense, a ajouté Perle. Défendre des alliés contre une attaque constitue «le cœur et l'âme» même des engagements de l'OTAN et la France a été «des plus irresponsables» de contrer une planification de défense, a dit Perle. Le Congrès américain a accusé la France et l'Allemagne d'ingratitude et de cynisme : «On pensait que tous les Etats seraient prompts à comprendre le prix élevé de l'apaisement», a souligné un sénateur. «Les Français parleraient tous Allemand aujourd'hui s'il n'y avait pas d'intervention américaine», a renchéri un autre. Cette polémique primaire ne semble pas affecter particulièrement les dirigeants européens. Le chancelier allemand estime que la résolution 1441 du Conseil de sécurité n'autorisait pas « automatiquement» une intervention militaire contre l'Irak. S'exprimant au Bundestag, il a rappelé que ce texte voté à l'unanimité ne justifiait pas le recours automatique à la guerre. «L'Allemagne soutient cette résolution et nous avons œuvré activement en faveur de son application. Mis, il est également clair que cette résolution ne contient rien d'automatique, en ce qui concerne le recours à la force militaire», a soutenu Gerhard Schröder. Le dirigeant allemand a estimé, en outre, qu'un règlement pacifique de la crise irakienne était encore possible et qu'il continuera d'œuvrer en ce sens aux côtés de la France, de la Russie et des autres pays épris de paix : « Nous faisons notre devoir envers la paix et envers le désarmement pacifique de l'Irak. Avec la France, la Russie et d'autres partenaires nous faisons tout notre possible en faveur d'un règlement pacifique. C'est possible et nous nous battons pour cela. L'Allemagne ne votera pas en faveur d'une guerre en Irak au Conseil de sécurité. On ne peut se tromper en déployant d'importants efforts en faveur de la paix. Cette opinion est partagée par une majorité de membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Nous pouvons désarmer l'Irak sans lui faire la guerre », a ajouté Schröder. Sur le terrain, le pentagone dit envisager une occupation militaire de l'Irak de deux ans, après une intervention contre Saddam Hussein, tout en faisant état d' «énormes incertitudes» quant à cette durée et à son coût financier. Le sous-secrétaire à la Défense Douglas Feith a expliqué que les administrateurs civils et militaires qui seront amenés à succéder à l'actuel régime irakien seront placés sous l'autorité du général Tommy Franks, commandant des forces américaines au Moyen-Orient. «Il y a d'énormes incertitudes», a poursuivi Feith qui a précisé que «le mieux que l'on puisse faire en matière de planification, c'est de développer des concepts, compte tenu des incertitudes».