Après la capitale, l'Oriental, le Sud, c'est au tour de l'Altas de dire les peines et souffrances qu'ont subies ses enfants durant les années de plomb. La cinquième séance des auditions publiques s'est déroulée, dimanche dernier à Khénifra. Témoignages. Initiée par l'Instance Equité et Réconciliation (IER), la cinquième séance des auditions publiques des victimes des violations passées des droits de l'Homme au Maroc durant la période allant de 1956 à 1999, avec son lots de témoignages et douloureux souvenirs, héritage de toute une époque, a eu lieu, le dimanche 6 février, en fin d'après-midi à Khénifra. Lors d'une séance qui a particulièrement suscité l'engouement des citoyens de la ville, les témoignages, recueillis par l'Agence MAP, se sont rapportés dans leur grande majorité aux évènements de mars 1973. A commencer par celui d'Ahmed Bouikba pour qui les événements de 1972-1973 dans la région de Khénifra étaient une «une révolution contre la violence, l'oppression et la corruption». Né en 1939, Bouikba a été condamné par contumace à la peine capitale, par le tribunal militaire permanent, le 30 août 1973. Il a indiqué que les autorités ne s'étaient pas contentées de soumettre des familles à la torture, mais ont procédé également à la démolition de maisons, à la saisie des biens et à l'arrestation d'innocents. Il a ,à ce propos, rappelé que ses deux sœurs ont été arrêtées et ont subi diverses formes de sévices dans un pénitencier. Après le verdict prononcé à son encontre (peine capitale par contumace), Bouikba a dû quitter le Maroc pour échapper à la traque dont il était l'objet. De retour au Maroc, il s'est retrouvé sans toit et sans aucune ressource. Evoquant ses peines, Al kabir El Ouasti a affirmé qu'il a été incarcéré pendant 80 jours au cours desquels son père a perdu la raison à cause de cette disparition. Né en 1937, il a indiqué qu'il a été arrêté en avril 1957 à Khouribga en compagnie d'un groupe d'élèves appartenant à la Jeunesse Abdellaouie du Parti de la Choura et de l'Indépendance. A la Pachalik de Khouribga où «nous étions torturés pendant six jours», on lui mettait la tête dans un endroit crasseux des toilettes et il dormait sur de la mousse trempée dans de l'eau salée. A Casablanca puis à Benslimane, il a passé neuf mois dans la prison de Laâlou avant d'être acquité, atteint de myopie, d'asthme et d'autres maladies et taxé de traître. Tout comme bien d'autres témoins, Driss Souhail a mis l'accent sur les différentes formes de torture qu'il a subies depuis son arrestation en mars 1973 et son emprisonnement au centre de police de la ville de Khénifra puis à Fès où tout un groupe a été emprisonné dans une villa secrète et soumis de nouveau à la torture. Souhail a indiqué, par ailleurs, avoir été témoin, durant sa détention, de plusieurs scènes de torture et fait état de viols de femmes dont une femme enceinte de huit mois et une fillette de neuf ans. Lâabi Lagmiri, quant à lui, il a affirmé qu'après son arrestation, le 1er mai 1964, il a subi toutes formes de torture. Il a été arrêté, ainsi que 125 officiers, dans le cadre de l'affaire du «colonel Ben Hamou», qui s'était réfugié en Algérie. Il a affirmé avoir été assujetti à différentes formes de torture: chocs électriques, «étouffement» et «suspension», et ce pendant six mois. A Kénitra, il a passé trois années dans une cellule individuelle. Allant dans le même sens, Mohamed Kacimi a, lui, affirmé que son arrestation, suite aux événements qu'a connus la région en 1973, s'inscrivait dans le cadre d' «une conspiration orchestrée contre toute la région ». Kacimi (65 ans) a évoqué les tortures subies par les fils de la région, particulièrement les militants de l'Union nationale des forces populaires (1963). Les arrestations ont concerné un grand nombre de femmes, d'hommes et d'enfants de toutes les tribus. Arrêté le 9 mars 1973 à Khénifra, il fut emprisonné et torturé pendant un mois à Fès. Il a, par la suite, été transféré à Casablanca, notamment à Derb Moulay Cherif. Acquitté le 30 août 1973 dans le cadre de l'affaire dite «Dahkoune», il n'a été libéré que trois ans plus tard. «Le prix à payer pour l'amour de la patrie est lourd». C'est en ces termes que s'est exprimée Touria Tanani, arrêtée suite aux évènements de 1984, en raison de sa contribution à la constitution d'une section de l'Organisation de l'Action démocratique populaire (OADP) à Fkih Bensaleh. Séquestrée et torturée en présence de ses jeunes frères, elle a passé la nuit dans une «cellule infeste» avant d'être soumise à l'interrogatoire. Mme Tanani (née en 1959) a, à Fkih Ben Saleh et Béni Mellal, subi, toutes formes de torture. Elle a précise, à cet égard, que ses tortionnaires l'ont jetée à terre, attachée et suspendue (technique dite de la tayara) avant de lui administrer des coups de fouet aux pieds. Abdelkader Souidi a, lui, affirmé qu'en tant qu'enseignant, il préférait être torturé qu'entendre les gémissements de ses élèves qui subissaient les mêmes sévices. Son arrestation et celle de ses élèves sont intervenues suite aux protestations des élèves du lycée Tarik Ibn Zyad d'Azrou, qui réclamaient l'installation du système de chauffage pour se protéger contre le froid qui sévissait dans la région au mois de janvier. Quelque 100 élèves ont été arrêtés et transférés à Azrou et à Ifrane, où ils ont subi les pires formes de torture. La torture commençait vers 23h00 pour ne s'achever que vers 4h00 avant que les détenus ne soient conduits à une place derrière le commissariat où ils ont passé plusieurs heures à la belle étoile soumis au froid glacial qu'enregistre Ifrane à pareille période. Mme Fatéma Ameziane se remémore toujours que sa fille née au cours de son incarcération a souffert d'un manque flagrant d'alimentation et de vêtements. Détenue en compagnie de ses enfants en 1972, elle a été incarcérée au centre de police de Khénifra pendant quatre mois. Elle a été enlevée de nouveau, toujours en compagnie de ses enfants, lors des événements de mars 1973, suite à la fuite de son mari en Algérie. Elle a été détenue dans différents centres de détention où elle a subi toutes sortes de torture. Mme Ameziane a été libérée, après dix neuf mois de détention. Si la vie de son enfant a été sauvée, celle de l'enfant de Fatéma Zhiri n'a pas eu cette chance. Mme Zhiri a rappelé les conditions pénibles de détention, marquées par le manque de nourriture et le froid glacial, surtout qu'elle a été jetée nue dans une cellule « macabre ». Fatéma Zhiri avait été arrêtée en 1960 à Tagleft alors qu'elle était enceinte, en raison des activités de son mari et sa participation dans le mouvement du « Caid Bachir ». Assujettie à différentes formes de torture, elle a accouché chez elle, puis a été remise en cellule, où elle est restée trois mois. Elle a perdu son bébé sept mois après sa naissance. Un malheur que Fadma Oulkhlef connaît bien. Veuve de Ahmed Assil exécuté à la suite des événements de mars 1973, elle a dit avoir souffert le martyre après la disparition de son mari; vivait, elle et ses cinq enfants, sur les donations de bienfaiteurs. Mme Oulkhlef a raconté avoir été atrocement torturée dans la caserne de Moulay Bouazza pendant deux mois. Après sa libération, elle et ses enfants ne trouvaient pas de quoi subvenir à leurs besoins. Le supplice a duré cinq ans. A rappeler qu'avant les audiences publiques de Khénifra, une délégation de l'Instance Equité et Réconciliation (IER) a tenu, samedi soir à Laâyoune, une réunion avec plusieurs élus et acteurs de la société civile. L'objectif de la tournée des membres de l'IER dans les provinces du Sud étant de compléter les informations concernant les dossiers des victimes des violations passées des droits de l'Homme. Quelque 40 centres seront ouverts dans ces régions, pour le même objectif. La tournée qui a concerné, jusqu'à présent, les villes de Laâyoune et Dakhla englobera également Smara, Tan-Tan et Guelmim.