Qu'est-ce qui fait prospérer l'empire de la phobie : judéophobie, sémitophobie, arbophobie, islamophobie, tziganophobie...? Qui a intérêt à l'approfondissement des fossés entre les citoyens vivant sur un même territoire, revendiquant, chacun à sa manière, le même Dieu, prospérant dans le sillage solide de la laïcité ? Qu'est-ce qui fait prospérer l'empire de la phobie : judéophobie, sémitophobie, arbophobie, islamophobie, tziganophobie...? Qui a intérêt à l'approfondissement des fossés entre les citoyens vivant sur un même territoire, revendiquant, chacun à sa manière, le même Dieu, prospérant dans le sillage solide de la laïcité ? Tels étaient les questionnements auxquels je me suis livré, à l'occasion d'une conférence donnée dans le cadre de la Convention nationale 2005 de la Licra. Celle-ci s'est tenue à Mulhouse les 29 et 30 janvier. La Licra, qui existe depuis 1927, mesure l'importance des symboles. Son choix géographique de ses assises ne devait rien au hasard. En faisant, elle a voulu signifier son refus aux profanations de cimetières juifs et musulmans qui ont ponctué l'année 2004 dans la région de l'Alsace. C'est vrai que l'Alsace est devenue un sérieux espace de radicalité : lorsque les voitures y brûlent, elle y brûlent plus qu'ailleurs. Lorsque les foulards y couvrent les têtes des jeunes filles, elles s'y défendent, avec entêtement, plus qu'ailleurs. Lorsque les profanations des cimetières s'y produisent, elles y sont plus massives. Lorsque le Front national s'y présente à une élection, il y engrange des scores plus élevés qu'ailleurs. Sans compter les nazillons allemands qui y viennent faire la fête. Sans compter le sinistre privilège d'avoir l'exclusivité de deux micro-partis: l'un régionaliste et racialiste, l'autre islamiste et intégriste, qui, à eux deux, incarnent le choc des radicalités. C'est donc avec un intérêt religieux que les congressistes ont pu donc suivre une conférence: « Racisme, antisémitisme, discrimination, la France en danger». Bien qu'invité en tant que sociologue, je n'ai pas pu me départir de mon origine culturelle et religieuse. J'ai donc parlé de l'Islam en France, de ses difficultés dans sa confrontation avec, pour la première, la démocratie et la laïcité réunies et un statut minoritaire. De sa pauvreté, tellement il est le produit de masses populaires. De son inculture et de son oralité massive, tellement il est peu encadré par des hommes de religion, de savoir et de fiqh. De son urbanité, tellement il se déploie et se confond avec les quartiers en déshérence dans lesquels il prospère. De sa balkanisation, tellement il revendique sa marocanité, son algérianité, son ottomanisme… En tentant de définir, de manière schématique, l'élément qui caractérise chacune des religions monothéistes, je me suis hasardé à dire que si la Loi définit la religion juive, l'Amour du prochain définit la chrétienté, le verbe reste, à mes yeux, l'élément qui définit le mieux l'Islam. Or, il y a une crise du verbe. La terre de Descartes et de Voltaire ne saurait donc être en danger. Elle constitue, au contraire, le lieu de débats pour aider cette crise à devenir féconde et créatrice ? Et sans perdre leur capacité d'indignation, des associations comme la Licra devraient aider les musulmans de France à opérer ce travail, sans complaisance, sur le verbe. Les musulmans de France en ont besoin. L'Islam aussi.