Formé vendredi, lundi ou plus tard, le futur gouvernement sera-t-il différent de l'équipe Youssoufi II ? Pourra-t-il faire face à l'épreuve de l'usure et des tiraillements politiques? Projections dans un avenir où, pour le moment, l'incertitude est la seule certitude. Le retard pris dans la formation du futur Exécutif ne peut être, comme voudraient le faire croire de nombreux dirigeants politiques,au seul agenda chargé de S.M. le Roi. Les analystes mettent en avant deux raisons. La première est liée au concept du gouvernement Jettou. La seconde a trait au déphasage entre la pratique politique et le nouveau règne. Les politiques sont peu bavards ou, comme beaucoup de journalistes, savent trop les choses. Les apparatchiks sont tenus dans le secret et la communication est quasi absente. Il s'ensuit, à la longue, un immense malaise. La crise, c'est le cas de le dire, vient en partie de là. A côté d'un black-out total sur la marche des tractations et des intentions. Au chapitre des ministrables, les partis mettent en avant la nomenclature, au nom du recul politique et de la raison d'être. Cela provient d'une idée qui a fait ses preuves par le passé, selon laquelle seuls les politiciens aguerris peuvent réussir dans une fonction, elle même d'essence politique. Et un gouvernement sans les gros calibres est présenté comme un Exécutif sans âme. Or les cabinets gouvernementaux sont appelés à travailler sur des programmes intégrés, qui font appel à la synergie entre différents départements. Les partis estiment que les politiques ont une vision d'ensemble sur les interférences et les conséquences au niveau de tous les volets et segments. De l'autre côté, Driss Jettou, pour exécuter le cahier des charges fixé par S.M. le Roi, aura besoin d'une équipe dans laquelle il se sentira à l'aise et qu'il pourra contrôler. Car même Abderrahmane Youssoufi, qui jouissait d'une aura incontestable, avait éprouvé quelques difficultés à gérer son Cabinet. Le gouvernement s'était en quelque sorte transformé en Parlement et, dans le gros du travail accompli, les textes ont constitué l'écrasante majorité du travail de l'Exécutif. Cela pose la problématique des rapports de l'administration avec les ministres. La fonction gouvernementale est à redéfinir. Car l'ancien gouvernement d'alternance avait hérité de « la mainmise » des secrétaires généraux sur les ministères. Les ministres politiques, qui ne servaient que de décor, s'interrogeaient sur leur rôle. Ils n'auraient que l'obligation de composer avec les puissants représentants de l'administration. Sans presque aucun droit au chapitre. A cela, il faudra ajouter le problème de la coordination inter-ministérielle. Des ministres délégués et des Secrétaires d'Etat, qui en principe ont les mêmes droits et devoirs que les ministres, ont été confrontés au piétinement de « leurs territoires » par des « super ministres ». Surtout quand il s'agit de ministres n'appartenant pas à la même formation politique, les accusations fusent de toute part. Cette situation crée beaucoup de confusion, handicape l'action gouvernementale, transforme l'Exécutif en une arène de règlements de compte et privilégie l'existence de ministres chrysanthèmes aux attributions non délimités. M. Jettou peut anticiper au niveau du fonctionnement interne de son prochain Cabinet, en faisant appel, le moins possible, à la coordination inutile et aux « tuants » arbitrages, qui souvent aboutissent à des « non-sens ». Surtout si l'idée de création de pôles ministériels est retenue. Les Dahirs de nomination devront être suffisamment clairs pour définir les territoires, les attributions des uns et des autres. A l'image de la liberté, les compétences des départements ministériels doivent avoir un espace précis. Où elles commencent et où elles se terminent. Pour Les «intersections», une base d'arbitrage sera nécessaire. Cette démarche fera éviter au prochain Exécutif bien des écueils et des pertes de temps inutiles. Que les ministres soient politiques ou d'étoffe technocrate partisane, un tel dispositif fera éviter des problèmes en interne pour que l'effort soit consacré à l'essentiel. A ce sujet, passé le délai de grâce qui devra être celui de l'adaptation à une autre façon de travailler, le gouvernement devra se pencher sur les grands dossiers sensibles comme celui du Code de travail, du droit de grève et de l'audiovisuel. Sans oublier les quatre axes prioritaires fixés par S.M. le Roi. Car les « cent jours » seront essentiellement meublés par le débat sur la loi de Finances. Passé ce délai, le gouvernement sera attendu au tournant. Les communales sont presque déjà là. Il faudra les préparer par un bon premier bilan, qui conforte les forces de progrès et de transparence. Un second test pour le nouveau Premier ministre. Certes, M. Driss Jettou jouit d'un capital confiance estimable. Mais cela aussi se capitalise.