Si les éditeurs marocains attendent la fin de la tempête de la rentrée scolaire pour promouvoir leurs nouvelles publications, sous d'autres cieux, la rentrée littéraire a déjà commencé. En France, elle s'annonce exceptionnelle vu qu'elle témoigne d'une diversité culturelle remarquable, avec 560 romans français et étrangers, dont la parution est programmée entre fin août et fin septembre. Des ouvrages d'auteurs marocains sont attendus et publiés dans les grandes maisons d'édition de l'Hexagone. Parmi ces livres, ceux de Leïla Slimani, Fouad Laroui et Mohamed Nedali. Focus sur ces incontournables de la rentrée qui envoûtent déjà la critique. Prendre la plume contre la radicalisation Cette rentrée est marquée par des ouvrages qui questionnent la représentation de l'Islam et des Français de culture musulmane, dans le contexte des attentats. Mohamed Nedali et Fouad Laroui racontent, dans ce sens, la radicalisation et reviennent sur les mécanismes qui conduisent vers ces chemins sombres, en dressant les portraits de deux jeunes marocains, basculant de la haine vers la barbarie. Mohamed Nedali, né en 1962 à Tahennaoute où il enseigne aujourd'hui le français au lycée de son village natal, livre aux lecteurs une histoire assez nuancée d'une jeunesse arabe prête à tout pour donner un sens à son existence dans son nouveau roman «Evelyne ou le djihad ?» (Editions de l'Aube). L'auteur de plusieurs romans publiés chez le même éditeur, dont «Triste Jeunesse» (Prix de La Mamounia 2012) nous raconte avec une proximité impressionnante et une simplicité formelle le sort d'Iydar, un lycéen marocain arrêté un jour par les gendarmes alors qu'il embrassait la belle Latifa sous l'ombre d'un amandier. Il se trouve en prison, dans la cellule d'Abou Hamza, pour «flagrant délit de fornication et atteinte à la pudeur publique». Abou Hamza, recruteur de l'Etat Islamique, va tout faire pour rallier Iydar à sa cause. Le jeune homme est sorti de prison bien décidé à rejoindre ses «frères» dans leur combat au nom de Dieu, mais il va rencontrer Evelyne qui lui proposera un chemin très différent... «Evelyne ou le djihad ?» est un roman intense et clairvoyant, qui interroge sur une jeunesse en déshérence, sur laquelle se penche Fouad Laroui également. Laroui écrit le terrorisme Auteur en 2006 de l'essai «De l'Islamisme, une réfutation personnelle du totalitarisme religieux», qui vient d'être réédité chez Robert Laffont, F. Laroui se penche dans son roman, «Ce vain combat que tu livres au monde» (Editions Julliard), paru le 18 août 2016, sur le basculement d'Ali, un jeune ingénieur franco-marocain, dans le terrorisme sur fond de grande histoire du Moyen-Orient. Cette dérive mortelle d'Ali de Paris à Raqqa, les réactions de son entourage, le dilemme qu'affronte sa compagne Malika dont il était amoureux ainsi que les actes terroristes qui ont secoué l'Europe récemment constituent la trame du récit qui représente une analyse humaine et engagée des grands maux de notre société, avec une note d'humour propre à l'auteur. Pourquoi Ali, musulman éduqué, moderne et heureux, qui n'avait rien d'un radicaliste, a rejoint les rangs de l'Etat Islamique? Telle est la question qui traverse le roman et à laquelle Laroui apporte des réponses d'ordre à la fois historique, civilisationnel et social. A la fois livre d'Histoire, roman d'amour et pamphlet politique, «Ce vain combat que tu livres au monde traite», ainsi, d'une actualité brûlante avec un style fluide. La «Chanson douce» de Leïla Slimani Leïla Slimani, journaliste et écrivaine franco-marocaine, née le 3 octobre 1981 à Rabat, d'une mère franco-algérienne et d'un père marocain, a fait son premier pas en littérature il y a deux ans, avec son roman «Dans le jardin de l'ogre», dont elle a trouvé l'idée en allaitant son fils devant la télévision diffusant en boucle l'affaire DSK. C'était la révélation de son talent narratif incroyablement fort et féroce, qu'elle confirme cette année avec «Chanson douce», une fiction glaçante parue le 18 août chez Gallimard et inspirée d'une histoire vraie d'une nounou meurtrière. La jeune maman s'est inspirée cette fois d'un fait divers concernant un meurtre commis en 2012 par une nounou dans une famille new-yorkaise, pour analyser la relation qui lie les parents à leurs enfants et ceux qui les gardent. «Pour que les femmes aillent travailler à l'extérieur, il faut que des gens gardent leurs bébés, c'est un sujet incontournable et délicat qu'on n'a pas très envie d'explorer. C'est une espèce de monde périphérique et quasi invisible dont on parle très peu», déclare-t-elle dans une interview. En interrogeant les problèmes des mères travailleuses, elle revient sur la souffrance qu'endurent ces dernières à laisser leurs bébés ainsi que la cruauté qu'elles infligent parfois, inconsciemment, à la personne qui les gardent. Dans la «Chanson douce» de Leïla slimani, il est aussi question de lutte des classes. «L'écart de niveau de vie entre la famille et la nounou peut nourrir le sentiment d'une grande injustice, une colère et même une haine d'une grande violence», explique-t-elle. L'écrivaine avoue qu'en écrivant, des souvenirs de son enfance passée au Maroc lui sont revenus «J'ai grandi au Maroc où on a encore l'habitude d'avoir des nounous qui vivent à la maison. C'est un sujet de conversation permanent, je me rappelle des propos qui me mettaient mal à l'aise- quand j'étais enfant, qui me peinaient car je me rendais compte du fossé qui existait entre notre existence et celle de ces femmes». La «Chanson douce» de Slimani ainsi que les lettres de Laroui et de Nedali résonneront sûrement comme un requiem lors de cette rentrée littéraire, sous les cieux de l'Hexagone. Soukaina Zoubir (Journaliste stagiaire)