La présidence du Conseil français du culte musulman oppose ouvertement deux hommes. L'un est Marocain et veut politiser le conflit. L'autre est Algérien et se défend de servir les intérêts d'Alger. La lutte est rude entre deux hommes pour contrôler l'islam de France. L'un est Algérien, l'autre Marocain. Le premier, Dalil Boubakeur, est recteur de la mosquée de Paris. Le second, Mohamed Bechari, est président de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). En plus de la mosquée de Paris, M. Boubakeur préside le Conseil français du culte musulman (CFCM) qui regroupe les différentes associations et organisations représentant les musulmans de France. La présidence de cette instance déchire les passions. Et M. Boubakeur tient à y rester, en dépit de la petite représentativité de la mosquée de Paris. Aux dernières élections, la mosquée de Paris a obtenu seulement 6 sièges sur les 44 en lice. La FNMF de M. Bechari en a décroché 18. Pourtant, c'est M. Bouabkeur qui est à la tête de CFCM. “Il faut cesser de considérer qu'il existe une démocratie hallal pour les Blancs et une démocratie haram pour les musulmans”, explique de façon tropicalisée Mohamed Bechari. Car évidemment, le ministère français de l'Intérieur surveille de très près les associations représentant les musulmans. Et il a fait pression pour que Dalil Boubakeur préside le Conseil, indépendamment des résultats des élections. Or, entre Dalil Boubakeur et les responsables régionaux de cette instance, la crise est ouverte. Dix-huit des vingt-cinq présidents des conseils régionaux du culte musulman (CRCM) se sont récemment déplacés pour une réunion informelle. Il s'agissait de dépasser les problèmes qui bloquent le fonctionnement du CFCM depuis plus de deux mois. Sans résultat. M. Boubakeur vit très mal la revendication de ses interlocuteurs d'organiser des élections en avril 2005. Autant dire qu'il est sur un siège éjectable face aux pressions. Le Marocain indique, toutefois, que sa rivalité avec le recteur de la mosquée de Paris ne tient pas seulement à la présidence du CFCM. Elle est avant tout politique et opposerait deux pays : le Maroc et l'Algérie. “Impossible!”, s'écrie M. Boubakeur qui ajoute: “il faut se garder de politiser le problème”. “Il est essentiellement politique, parce que la gestion de l'Islam de France est un sujet prioritaire pour Alger”, réplique M. Bechari. Il rappelle comment l'Algérie a peu à peu mis la main sur la mosquée de Paris, “inaugurée en 1926 par le sultan Moulay Youssef et le maréchal Lyautey”. Les statuts ont été modifiés en 1982, alors qu'ils stipulaient auparavant qu'en cas de dissolution de l'association qui gère la mosquée, tous les biens reviendraient au Maroc. Les recteurs qui se sont succédé à la tête de la mosquée, Cheikh Abbas, Tijani Haddam et Dalil Boubakeur, “ont été nommés à Alger”. La politisation de la rivalité entre les deux hommes s'est exacerbée à l'occasion du fameux baiser posé par Mohamed Bechari sur la tête d'Abbassi Madani au Qatar. Dalil Boubakeur n'avait pas du tout apprécié et ne s'était pas gêné pour le faire savoir. “C'est normal, parce que peu de temps après ma rencontre avec M. Abassi, il a proclamé la marocanité du Sahara. Alger y a vu une manœuvre de ma part, alors que la rencontre est un pur fruit du hasard”. La lutte entre les deux hommes a un spectateur privilégié: Fouad Allaoui, Marocain, et secrétaire-général de la troisième plus grande représentation des musulmans de France: l'Union des organisations islamiques de France (UOIF). Il refuse de prendre parti : “je n'interviens pas là-dessus. C'est une affaire entre la mosquée de Paris et la FNMF”. Néanmoins, il exige avec d'autres organisations de musulmans de France que le président du CFCM soit issu des élections qui auront lieu en avril 2005. Dalil Boubaker avait prévenu qu'il ne participerait pas à la réélection des instances musulmanes si le règlement électoral qu'il juge défavorable à son égard n'était pas modifié. “Nous participerons, mais à condition de compenser le déséquilibre actuel”, indique-t-il à ALM. Il ajoute qu'il travaille avec les délégués de la mosquée de Paris pour remédier à la petite représentativité de l'instance qu'il dirige. Comment? M. Boubakeur n'en sait rien encore.