Mardi, la Cour d'Assises de Paris ouvre le lourd dossier de trois des attentats survenus durant l'été 1995 et revendiqués par le Groupe islamique armé algérien. Seuls deux de leurs auteurs sont sur le banc des accusés. Paris. 11 juillet 1995. L'Imam d'une mosquée située dans le 18ème arrondissement, Abdelbaki Sahraoui, et son secrétaire, sont assassinés. Un double meurtre encore non élucidé suivi quatorze jours plus tard de la première explosion d'une bombe artisanale au niveau de la station de métro Saint-Michel, en plein cœur de la capitale. Huit personnes sont tuées et 150 autres blessées. Le 17 août, un second engin placé dans une poubelle de l'avenue Friedland fait 17 blessés dont trois graves. Une troisième bombe, retrouvée neuf jours après sur l'axe ferroviaire Paris-Lyon n'a pas explosé au passage du TGV. Les empreintes retrouvées sur l'engin permettent d'ouvrir une première piste : un suspect, Khaled Kelkal, est identifié. Le 3 septembre, une quatrième déflagration dans un marché du 11ème arrondissement blesse quatre personnes. Elle est suivie le lendemain de la découverte d'un autre engin – qui n'a pas fonctionné – dans les toilettes publiques, place Charles Vallin (15ème arrondissement). Le 7 septembre, c'est au tour d'un collège juif de Villeurbanne (Rhône-Alpes) d'être la cible d'une voiture piégée alors que la course poursuite entre les gendarmes et les terroristes se solde par plusieurs fusillades. Le 27 du même mois, Karim Koussa, ami d'enfance de Khaled Kelkal, est arrêté. Le lendemain, Kelkal est abattu par les gendarmes dans une bourgade du Rhône. Pour certains, la cavale prend fin mais pas les attentats : le 6 octobre, à proximité de la station parisienne Maison Blanche, une bombe explose dans une poubelle, faisant 16 blessés. Le 17, la déflagration se produit au niveau d'une rame RER, station Musée d'Orsay : 27 blessés. Alors que la psychose paralyse la capitale et le pays entier placé sous plan «Vigipirate», les enquêtes avancent : le 1er novembre, Boualem Bensaïd est interpellé à Paris, tout comme Smaïn Aït Ali Belkacem le lendemain à Villeneuve d'Ascq (Nord). Enfin, le financier des attentats revendiqués par le GIA, Rachid Ramda, est arrêté le 4 octobre en Angleterre. C'est donc sept ans après ces quatre mois «noirs» que la Cour d'Assises de Paris ouvre ce mardi un procès très attendu : un mois d'audience, 180 parties civiles, 35.000 pages de procédure pour évoquer trois des attentats parisiens, et juger leurs trois auteurs présumés. Deux seulement, Belkacem et Bensaïd, sont toutefois dans le box, Rachid Ramda étant toujours détenu par Londres. Le principal suspect, l'Algérien Bensaïd, est accusé d'assassinats, de tentatives d'assassinats et de destruction par explosifs dans l'attentat de Saint-Michel. Il est aussi impliqué dans l'explosion de la station Maison Blanche. Son compatriote Belkacem comparaît pour tentatives d'assassinats et destruction de biens par explosifs dans l'attentat du Musée d'Orsay. Le premier continue de tout nier tandis que les enquêteurs et le juge d'instruction estiment disposer de «preuves accablantes » sur son rôle de «coordinateur». La police a notamment trouvé des cahiers de notes de Bensaïd, ainsi que sa comptabilité. Ils y ont découvert les « repérages» effectués avant juillet 1995 ainsi que de l'argent viré à Londres par Rachid Ramda. Déjà condamné en 1999 à dix ans de prison, puis en 2000 à 30 années de réclusion criminelle, Bensaïd n'a par contre toujours « revendiqué » son appartenance au GIA. Belkacem est quant à lui soupçonné d'avoir monté un réseau terroriste dans le Nord de la France. Il a été arrêté alors qu'il préparait un attentat dans un marché de Lille. Il a aussi avoué avoir déposé la bombe qui a explosé sur la ligne C du RER, à l'arrêt Musée d'Orsay, avant de se rétracter. Rachid Ramda, lui, le «complice» financier de l'opération, sera jugé par contumace, la Grande-Bretagne refusant de le livrer à la justice française. Sous écrou extraditionnel depuis 7 ans, cet Algérien de 33 ans n'a jamais répondu de sa participation aux attentats. Il s'est établi à Londres en 1993, date à laquelle il revenait du Pakistan sous le nom d'Elias Serbis. Il a été de nombreuses fois en contact téléphonique avec Bensaïd et un autre suspect, Ali Touchent, tué par son groupe en 1997. Le 16 octobre 1995, il est établi que Ramda avait effectué un virement de 38.000 FF, somme retrouvée au domicile parisien de Bensaïd. Pourquoi ces attentats ? Pour beaucoup, ces attaques ont marqué la volonté du groupe islamiste d'internationaliser la crise algérienne en frappant la France. Le GIA s'en prenait déjà depuis 1993 à des Français d'Algérie dans le but de brouiller les relations entre les deux pays. En septembre de cette année-là, ses membres avaient assassiné deux géomètres français à Sidi-Bel-Abbès, dans l'ouest. Trois employés du Consulat de France à Alger avaient aussi été enlevés deux mois plus tard. Le 3 août 1994, cinq Français avaient été assassinés dans la capitale algérienne. Puis le 24 décembre, un commando du GIA s'était emparé d'un airbus d'Air France sur l'aéroport d'Alger, tuant trois des 230 passagers. Sept moines français avaient aussi été enlevés puis décapités en mars 1996 près de Médéa, au sud. Le GIA avait affirmé qu'il ne laisserait «aucun répit» à la France tant que l'Islam n'aurait pas «conquis» ce pays. Il avait même demandé au président Chirac de se convertir.