Après une période d'éclipse remarquée, Sapho refait surface. En résidence d'artiste à Dar Batha de Fès du 18 au 30 octobre, elle dit tout de son séjour au Maroc, de ses expériences musicales et de ses engagements. Entretien. ALM : Vous êtes actuellement à Fès dans le cadre d'une résidence d'artistes. Quel est l'objectif de votre séjour au Maroc? Sapho : Tout a commencé lors de mon dernier voyage à Fès, dans le cadre du Festival des Musiques sacrées. C'est là que j'ai visité le Ryad de Dar Batha, où j'ai rencontré le dramaturge Pierre Reno qui y était en résidence d'artiste. Je suis littéralement tombée sous le charme, à la fois de son projet de l'époque, une adaptation théâtrale de « Hiroshima mon amour », et de l'endroit. C'est ainsi que j'ai décidé de faire de même. La raison n'est autre que d'avoir l'occasion d'élaborer un travail qui serait le fruit de nouvelles recherches. Le tout, dans la perspective d'un nouvel album. Cette résidence d'artiste se présente comme une sorte de Workshop, un chantier qui permet de s'ouvrir sur de nouvelles influences, quitte à se risquer dans des chemins inconnus. Il s'agit en somme de répondre à une des mes sensibilités culturelles, qui n'est autre que la culture arabo-andalouse dans laquelle le «duende» -l'esprit- ne peut advenir que dans le risque. J'ai dans ce sens, et constamment en esprit, la fabuleuse phrase de Garcia Lorca qui qualifie le risque de «création en acte». Mon nouvel album s'inscrit dans ce même esprit, c'est-à-dire, résolument andalou, mais ouvert sur la modernité. Votre musique actuelle se trouve au carrefour des civilisations. D'où vient ce désir de vouloir mélanger différents styles ? Je suis une juive marocaine née à Marrakech. Je me suis donc imprégnée de la musique marocaine et andalouse. Une musique qui est née de plusieurs influences. Lorsque j'étais au Maroc, j'écoutais plusieurs musiques. Des Gnaouas à Farid Al Atrach, en passant par Asmahan et Oum Kelthoum. Ainsi, j'ai été en quelque sorte influencée par tous ces goûts musicaux qui dominaient à l'époque. Sans oublier bien évidemment le flamenco. J'ai grandi dans cette ambiance. Et du coup, lorsque je suis partie en France, je me suis fixée comme objectif de faire se confronter les styles musicaux dans lesquels j'ai longtemps été baignée aux nouvelles tendances que j'ai découvertes dans ma terre d'accueil, à commencer par le Rock. J'aime l'idée d'être polyglotte. Durant toute ma carrière, j'ai touché à plusieurs domaines et à plusieurs genres musicaux. Cela provient également du fait que je déteste la monotonie. Vous êtes également connue pour avoir publié des romans. Comment arrivez-vous à concilier votre travail d'écrivain et celui de chanteuse ? C'est le domaine de l'écriture qui fait ma structure. Je suis quelqu'un de très indépendant. Je n'ai jamais aimé me cloîtrer dans un seul domaine ou un autre. Au contraire, j'apprécie beaucoup les nouvelles expériences. Cela m'enrichit et me donne plus de confiance en moi. Ainsi, je ne me contente pas uniquement de la musique. D'ailleurs, l'écriture est née avant la musique. En tout cas, pour moi. Au départ, il était certes difficile de joindre les deux. Mais par la suite, j'ai pris l'habitude. De toute façon, l'un ne va pas sans l'autre. Actuellement je viens de publier un recueil de poèmes dont je vais lire des extraits à Dar Batha. Ce recueil est intitulé: «Le livre des 14 semaines». Où en est aujourd'hui votre parcours d'humaniste ? Vos engagements dans la lutte pour la paix? On n'abandonne pas ce parcours de la paix. Etant née au Maroc, j'ai observé des Chrétiens, des Juifs et des Musulmans vivre ensemble en toute harmonie. Ils mangeaient et buvaient ensemble. La tolérance était de mise. Tous ces gens vivaient ensemble, les uns avec des autres. Comme eux, je suis une fille de la paix. De par le monde. On enflamme les têtes avec la guerre. Il est donc nécessaire, aujourd'hui et plus que jamais, de faire valoir la culture de paix et de tolérance qui m'a été inculquée dans mon pays natal. Le leurre se trouve plus du côté de la guerre que du côté de la paix. Il existe une sorte de tribalisme. La guerre au Proche-Orient en est l'illustration la plus parfaite. Et il faudrait le combattre.