Le célèbre philosophe français est mort dans la nuit de vendredi à l'âge de 74 ans. Son œuvre, énorme, traduite en 60 langues et traversée de son célèbre concept de «déconstruction», restera à jamais, dans le patrimoine de la philosophie mondiale. Dans sa vie, il était plutôt réservé, peu habitué à la célébrité et au petit écran. Dans ses engagements politiques, il était connu pour être un homme de gauche, engagé. Mais c'est surtout par son œuvre, énorme, comptant plus de 80 livres, traduits dans 60 langues que le philosophe français le plus commenté au monde, que Jacques Derrida faisait le plus parler de lui. Mort, «sans souffrir», des suites d'un cancer du pancréas, dans la nuit du vendredi au samedi à Paris, Jacques Derrida laisse derrière lui un monde orphelin. Orphelin de ne plus compter le dernier de ces «penseurs de 68», ce cercle dans lequel trônait Jacques Derrida parmi tant d'autres philosophes : Althusser, Lacan, Foucault, Barthes, Deleuze, grands pourfendeurs de la notion de «sujet»…Orphelin de ne plus avoir d'yeux critiques, et dont le moteur n'est autre que le très célèbre concept de «déconstruction», dont Derrida est l'inventeur. Un concept à travers lequel Jacques Derrida, qui portait beau une épaisse chevelure blanche, propose, à partir de textes philosophiques classiques, une "déconstruction", une critique des présupposés de la parole, une manière de défaire de l'intérieur un système de pensée dominant. «La déconstruction, c'est prendre une idée, une institution ou une valeur et en comprendre les mécanismes en enlevant le ciment qui la constitue. Au-delà de cette expression, qui peut intriguer ou faire fuir, c'est un philosophe qui peut aider à la compréhension de la société». C'est ainsi que la résumait le présentateur Franz-Olivier Giesbert en recevant le philosophe en 2002 à la télévision. Un événement en soi pour cette figure réservée qui a longtemps refusé toute photo. Orphelin de ne plus avoir de penseurs français, dont l'écho retentissait aux Etats-Unis avec un tel éclat. S'il est né le 15 juillet 1930 à El Biar (Algérie) dans une famille juive, plutôt à gauche et pied-noir, et s'il entre en 1950 à Normale Sup, c'est au pays de l'Oncle Sam qu'il sera le plus écouté. D'abord à Harvard où il devient assistant, puis dans diverses universités américaines, parmi les plus prestigieuses, où il partage son enseignement avec Paris, à la Sorbonne, et à Normale Sup com il occupe, en 1965, le poste de «Caïman», directeur d'études. «Je n'ai jamais fait de longs séjours aux Etats-Unis, le plus clair de mon temps ne se passe pas là-bas. Cela dit, la réception de mon travail y a été effectivement plus généreuse, plus attentive, j'y ai rencontré moins de censure, de barrages, de conflits qu'en France», déclarait-il récemment au journal «L'Humanité». Le monde est orphelin de ne plus avoir une figure enfermée quelques jours dans une prison tchèque, en 1982, alors qu'elle soutenait sur place les intellectuels dissidents de la Charte 77. Une figure qui engage alors une vaste réflexion critique sur l'institution philosophique et l'enseignement de cette matière, créant en 1983 le Collège international de philosophie qu'il préside jusqu'en 1985. Le monde est aussi orphelin de ne plus compter d'auteurs aussi prolifiques, en philosophie comme en littérature, que celui qui compte parmi ses très nombreux livres, «L'écriture et la différence», «La dissémination», « Marges de la philosophie», «Glas», «La vérité en peinture », «Pour Paul Célan», «De l'esprit», «Heidegger et la question», «Inventions de l'autre», «Du droit à la philosophie», «Spectres de Marx», «Apories» ou «Résistances de la psychanalyse». Des livres qui constituent un dialogue sans concession avec la métaphysique occidentale. Le monde est orphelin de l'un des ses plus grands philosophes d'aujourd'hui.