Dans son édition du 17 août 2002, Le Quotidien d'Oran a publié une longue interview de Hocine Aït Ahmed, figure historique de la révolution algérienne et dirigeant du Front des forces socialistes. Nous donnons la deuxième partie de cet entretien. Justement, ne craignez-vous pas que le rouleau compresseur dont vous parlez agisse de la même manière et que pour ces élections locales, il débouche sur le même type de résultat? Hocine Aït Ahmed : Je rappelle qu'en 1997, le pouvoir a utilisé tous les moyens de la force publique, y compris l'armée, pour brutaliser les électeurs, voler les urnes et falsifier les résultats. Le suffrage universel fut transformé en opération de gangstérisme électoral. Sans souci de son image extérieure. Les maîtres du pays avaient pris ces risques et même séquestrés des journalistes étrangers en raison de l'importance stratégique des municipalités. Les enjeux sont vitaux pour leur pérennité : quadriller et contrôler la société à la base en premier pour ensuite cuisiner les législatives et les présidentielles en guise de «parachèvement de l'édifice démocratique». C'est là aussi, l'enjeu pour les vrais démocrates. Mais contrairement au pouvoir, ils ont un objectif différent : l'affirmation citoyenne pour contrer le quadrillage totalitaire projeté par le régime. La commune nous met en dialogue direct avec le peuple et c'est le plus essentiel des dialogues. Il y a eu bien de la fraude et il y en aura le 10 octobre prochain. Tous les moyens mobilisés en 97 pour truquer ces élections, ne nous ont pas empêchés de remporter l'écrasante majorité des municipalités. Et ce, grâce à ce redoutable contrôle social fondé sur les espaces publics traditionnels. Il est impératif que la mobilisation et la vigilance du mouvement citoyen, réussisse à susciter des sursauts de contrôle social sur l'ensemble du territoire national. Les manifestations populaires en Kabylie dans lesquelles les APC et les structures du FFS se sont impliquées, ont permis de déjouer l'objectif du rouleau compresseur qui, en assassinant Maatoub Lounés, voulait faire basculer coûte que coûte cette région dans la guerre civile. Aujourd'hui, le devoir le plus important, urgent, c'est de protéger la population et de ne pas la laisser à la merci des mutants sans états d'âme et sans pitié. Nous avons peu de moyens pour empêcher la criminalité d'Etat et de ses nombreux relais parallèles. Mais c'est une obligation morale et politique de tout faire pour la prévenir la désamorcer en limiter les dégâts le cas échéant. Mais, il est question de réduire le pouvoir des élus locaux. Quelle marge pourraient avoir les futurs élus ? Il y a déjà le lourd handicap d'une tutelle étroite de l'administration et du wali sur la commune. Quoi d'étonnant à cela, c'est encore un héritage colonial. La logique d'un pouvoir absolu est d'étendre à sa guise ses prérogatives de haut en bas de la pyramide. C'est aussi dans la nature d'un système policier de vouloir contrôler au maximum la Commune qu'il conçoit comme un rouage. La réalité coloniale resurgit sous une version renouvelée, en pire. Dans le vécu des Algériens, il y a deux types de communes: les «communes de plein exercice» lorsqu'elles sont entre les mains des super-citoyens, des maffias ou des «partis-satellites» et «les communes mixtes du 2e collège» pour les indigènes démocrates non encore naturalisés algériens. Nous poursuivrons notre lutte pour que le peuple algérien recouvre son droit à l'autodétermination. Nous nous battrons davantage sur le plan international qui est devenu maintenant une donnée décisive pour la refondation de l'Etat algérien. La communauté internationale a un droit de regard, du fait qu'elle a reconnu et donc consacré le droit du peuple algérien à l'autodétermination. A -t-elle abrogé cette reconnaissance pour la transférer à un Etat qui n'existe pas et qui fondamentalement devait son existence à la légitimité populaire ? Ce constat ne fait que souligner l'énorme responsabilité de la communauté internationale dans la grave impasse politique actuelle. Nous n'avons cessé cependant de marteler que la solution politique est principalement entre les mains des Algériens. Elle dépend de leur solidarité dans la durée, de leur résistance citoyenne donc pacifique et soutenue. Le FFS a opté pour une lutte pacifique non violente et il écarte donc toute stratégie de sédition ou d 'insurrection. Cela ne nous dispense pas d'identifier des passerelles, comme nous l'avons toujours fait , avec les gens intègres et intelligents du pouvoir. Notre boussole pour une sortie de crise politique globale et démocratique demeure le mémorandum remis en juin 2001 à Bouteflika et aux généraux Mediène et Lamari. Elle rappelle toute proportion gardée, la plate-forme de la Soummam qui a éclairé la lutte de libération. La situation en Kabylie s'est dégradée du fait d'une crise qui entre dans son 16ème mois. Dans de telles conditions, comment aller à des élections ? Dans un texte élaboré sur la signification et le rôle des «arouchs», j'ai mis en garde contre la volonté du pouvoir de mettre la Kabylie dans la violence et les règlements de compte et le chaos afin de se débarrasser de l'un des bastions de la paix civile , de la démocratie et de l'unité nationale . Tout se passe comme si le pouvoir occulte bunkérisé derrière l'impunité, et encouragé par elle, préparait un processus de tchétchénisation de la Kabylie. Je pense sincèrement que son intention stratégique est de détruire le FFS et toutes les forces politiques non dépendantes des services et de l'armée. Toutes les gesticulations, manipulations politiques et médiatiques semblent focalisées sur la Kabylie .On a le sentiment que toute la problématique de la décennie noire est réduite aujourd'hui au «réduit kabyle» qu'il faut réduire à la manière de Moscou .Pour désamorcer la stratégie de la terre brûlée, il faut que la population reste sereine et déterminée, face aux intimidations et provocations grossières, et aux surenchères gratuites des kabyles de service. La dissidence citoyenne a le devoir patriotique de sublimer la tentative de ghettoïsation de la Kabylie en allant reprendre possession de leurs APC et APW ,à l'échelle de toute l'Algérie. Notre vision de la Kabylie est une vision nationale. • Le Quotidien d'Oran (suivra)