Les longs-métrages en compétition officielle au festival international du film de Marrakech, qui se poursuit jusqu'au 8 octobre, sont d'une grande qualité. Les personnes qui ont vu «The Station agent», «Suite Habana» et «Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran» ont été séduites avec, en prime, une immense charge d'émotion. Le cinéma aime le bonheur. Trois longs-métrages en compétition officielle sont autant d'invitations à l'amour de la vie. Le premier est américain. Il représente ce cinéma indépendant qui bat en brèche toutes les idées reçues sur Hollywood et son industrie, fondée sur les recettes. On connaissait des réalisateurs comme John Cassavetes, Spike Lee, Jim Jarmusch ou Robert Altman. L'auteur de « The station agent », Tom Maccarthy, s'inscrit dans leur lignée. Un homme mesurant 1m 30, appelé communément un nain, hérite d'une gare désaffectée dans le New Jersey. Il fait connaissance avec un vendeur de sandwichs et une artiste fortunée et dépressive qui a failli le renverser par inadvertance à deux reprises. Peter Dinklage, qui interprète le rôle du nain, aime la solitude, et pose un regard indulgent et résigné sur les hommes qui ne peuvent pas s'empêcher de réagir à son passage. Sa nature bourrue sera mise à rude épreuve par les assiduités du vendeur de sandwichs et la peintre fortunée. Peu à peu, une relation se tisse entre les trois personnages, avant que la belle artiste ne décide de s'enfermer dans la solitude. Le petit homme qui avait pour règle de ne jamais vivre en société s'inquiète pour elle. Patricia Clarkson, qui interprète très bien ce personnage, renverse les rôles en revoyant à sa solitude celui qui se faisait du souci pour elle. L'une des scènes les plus fortes du film s'est déroulée dans un bar bondé. Ivre mort, le personnage du nain est monté sur le comptoir du bar, a levé ses petits bras vers le ciel, et s'est exhibé devant tous en criant : « regardez-moi ! » Cette scène n'enlève rien au bonheur, basé sur de petits riens et tissé grâce à l'amitié d'un trio, qui fera bloc contre l'isolement et les comprimés anti-dépressifs. Lumineux, « The station agent » est un film tendre et touchant consacré à un homme d'une taille peu commune, mais qui parvient à s'attacher et à partager l'affection de tous. Ses petites épaules seront un soutien salutaire pour certains. De lumière, il est également question dans « Suite Habana » du Cubain Fernando Pérez. Ce long-métrage a des qualités pour s'introduire dans les universités et les académies où l'on enseigne le 7ème art. Le film commence à 6h du matin et se termine à minuit. Il n'est pas muet, mais il n'existe pas de dialogue. A aucun moment, les personnages de ce long-métrage, qualifié de « film documentaire » par son réalisateur, n'échangent pas la parole. Pourtant quelle densité de bruits, de sons et de musiques dans le film ! Et l'on comprend que le film tient son titre du genre musical appelé « suite ». La suite Habana ne provient pas toutefois d'instruments de musique, mais d'une succession de bruits générés par les cris des hommes, les klaxons, le vrombissement du moteur d'un bulldozer, le bruit assourdissant d'un marteau piqueur ou des plateaux qui riment dans la cuisine d'un grand restaurant. Et le surprenant, c'est que cette suite ne heurte pas l'oreille. Comme les habitants de La Havane ne parlent pas, le réalisateur a multiplié les plans-séquences. Le rythme du film en est si rapide que l'on ne s'y ennuie pas à un seul instant. Ses protagonistes sont des habitants de La Havane qui se meuvent devant la caméra de la même façon qu'ils évoluent dans la vie. Fernando Pérez les aime, et il hausse leurs occupations quotidiennes au rang d'une épopée. Autre film qui communique une grande émotion : « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran » du Français François Dupeyron. Magistralement interprété par Omar Sharif, «Monsieur Brahim», un épicier arabe, se lie d'affection à un adolescent de confession juive appelé Moïse. Il devient son mentor et lui apprend les petites clefs pour être heureux dans la vie. Ce long-métrage, qui véhicule un message d'entente et de compréhension entre religions différentes, n'en est pas moins sensualiste et rempli de bons moments de cinéma. L'épicier arabe est Turc. Moïse, magnifiquement interprété par Gilbert Melki, est souvent appelé Momo. Les deux personnages forment un couple complice, même dans les moments difficiles. Ils feront ensemble un voyage initiatique qui perpétuera l'apprentissage du vieil épicier.