En politique, les bonnes intentions cachent souvent des arrières-pensées. Et les discours vertueux servent de paravent à des objectifs moins avouables. Quelle est la signification réelle de la politique des «petits pas» adopté par le PJD ? Décodage. Lors de la soirée électorale de 1997, organisée au siège du ministère de l'Intérieur, un homme affichait une mine radieuse. Abdelilah Benkirane, du PJD (Parti de la justice et du développement), est ravi de la performance de son parti aux législatives. Et il ne le cachait pas. « Nous avons obtenu 12 sièges. Ce qui est un bon score pour un parti qui débute. Mais en réalité, nous avons été plafonnés. Nombre de nos candidats furent recalés exprès», se répandait-il en privé au milieu des journalistes et des autres invités. Un moment, il se tait, comme s'il en avait trop dit. Ce membre du secrétariat général du PJD insinuait que si les élections avaient été transparentes, son parti aurait enlevé plus de circonscriptions. L'intéressé présumait-il des forces de du PJD ou savait-il d'avance le poids électoral qui allait lui être octroyé ? Une chose est sûre : le raz de marée islamiste, que nombre d'observateurs attendaient n'a pas eu lieu. En fait, les membres du PJD étaient tout contents de disposer d'une adresse politique qu'ils n'avaient pas. Pour les intégrer dans le jeu politique, le ministère de l'Intérieur leur a trouvé, à la veille des dernières législatives, un centre d'hébergement partisan. Ce sera le MPDC (Mouvement populaire démocratique et constitutionnel) d' Abdelkrim Al Khatib. Ce vieux routier de la politique, un des principaux fondateurs du Mouvement populaire en 1958, qui a ses entrées dans l'establishment, acceptera de prêter son mouvement pour la «bonne cause» : faire des islamistes une mouvance présentable selon la stratégie qui stipule qu'il vaut mieux les avoir «dedans» que «dehors», les officialiser en composant avec eux plutôt que de continuer à leur fermer la porte au risque qu'ils s'introduisent par la fenêtre. Et encourir le risque de les maîtriser moins ou pas du tout. D'ailleurs, nombre de candidats islamistes, faute de cadre partisan légalisé, se sont présentés en tant que SAP lors des dernières communales. C'est cette réalité-là qui a mis la puce à l'oreille aux pouvoirs publics. Or, depuis 1997, que d'eau a coulé sous les ponts. Les députés PJD ont commencé par accorder leur soutien au gouvernement Youssoufi. Un soutien qui sonne avec le recul comme un geste de reconnaissance envers les autorités pour leur avoir permis de disposer d'une façade politique. Ce PJD conciliant fera vite de laisser la place à un PJD moins docile. Les instances de cette formation entreprennent alors au bout de quelques années, de changer de tactique en trois temps: retirer leur soutien au gouvernement, passer au soutien critique puis à l'opposition. Cette évolution s'inscrit dans le droit fil du raisonnement du PJD. Elle a un nom : la politique des petits pas. Participer progressivement dans les institutions du pays: le Parlement (ils y sont déjà), demain le gouvernement (ils y croient). «Le jour où nous serons aux commandes, nous aurons les mains libres pour imposer les changements que nous voulons», pensent-ils in petto, faisant de «avant l'heure, ce n'est jamais l'heure» leur devise fondamentale. En attendant, le PJD peaufine son image auprès de la classe politique comme on cultiverait son jardin au point que certains partis ont cru même rentable de flirter avec lui. En politique, les bonnes intentions cachent souvent des arrières-pensées. Il arrive aussi que les apparences ne correspondent pas à la réalité de celui qui les affiche. Et que les discours vertueux servent de paravent à des objectifs moins avouables. Nous sommes ici en plein dans la politique des petites foulées du PJD. Pour marcher, il faut deux pieds. Le premier c'est le PJD lui-même, qui joue son rôle de vitrine politique ou de leurre politicien. L'autre pied n'est autre que le MUR (Mouvement unicité et Réforme) d'Ahmed Raïssouni. Ce mouvement, qui contrôle en vérité le parti et non le contraire, chapeaute en plus des centaines d'associations implantées dans plusieurs villes du pays (quartiers déshérités), et sous couvert d'activités culturelles, sportives et éducatives, fait de l'activisme social à la manière islamiste pour recruter la masse et quadriller la société. Bien entendu, contrairement à l'agitation sous la coupole de Mustapha Ramid et ses amis, cette activité en profondeur n'est pas visible à l'œil nu. Dans cette configuration, le MUR et sa galaxie d'associations agit en douceur comme un levier de conquête du pouvoir par le PJD. Deux faces d'une même médaille. L'un s'occupe à amuser la galerie (le boucan fait par les élus PJD autour de la réunion de l'internationale socialiste à Casablanca) et l'autre est concentré sur la préparation de l'armée des adeptes.