Il n'existe pas de loi efficace contre les déplacements des populations qui lorsqu'elles sont dépourvues d'horizons dans leur pays d'origine n'ont d'autre choix que de tenter de se diriger vers des cieux jugés plus cléments, parfois au péril de leur vie. L'Union européenne, sous la houlette de l'Espagne, a tenté de sévir à Séville contre l'émigration clandestine en durcissant la loi contre les clandestins. Diabolisés dans les discours officiels de l'extrême droite européenne, ces derniers n'en sont pas moins utilisés comme main-d'œuvre bon marché dans des pans entiers de l'économie des quinze : agriculture, bâtiments, hôtellerie, usines… Sans parler des tous les petits boulots dont les citoyens de souche ne veulent pas. Les événements d'El Ejido en Espagne où des émigrés marocains furent brutalisés par des Espagnols ont montré au grand jour cette réalité. Au-delà de cette équipée punitive et scandaleuse qui a suscité un émoi un peu partout, ce sont les conditions de travail et de vie précaires de cette communauté qui ont attiré l'attention. Des Marocains, sans papiers comme ils disent, mais qui sont engagés au noir dans les champs de la région par les agriculteurs espagnols. Les autorités de madrilènes ont fermé les yeux sur cette situation parce qu'elle arrange les affaires de son secteur agricole. L'hypocrisie totale. D'un côté, on accuse l'immigré régulier ou irrégulier de tous les maux et de l'autre on exploite volontiers sa force de travail. Naguère point de transit vers les autres pays du nord européen (France, Belgique…), l'Espagne est devenu depuis le début des années 90 une terre d'immigration convoitée par les clandestins marocains, algériens et subsahariens. Quinze kilomètres à peine (le Détroit) séparent les candidats de ce qu'ils considèrent comme un “Eldorado“. Par temps dégagé pendant la saison estivale, on peut apercevoir à partir des hauteurs de Tanger le mirage espagnol matérialisé par Tarifa. Quel fantasme pour les desperados. Mues par la force du désespoir, des cohortes de laissées pour compte sont prêtes à tout y compris mourir pour gagner les cotes espagnoles et fuir la misère où ils sont cadenassés chez eux. Les victimes par noyade dans ce bras de mer ne se comptent plus. Une hémorragie qui continue de plus belle. Il n'y a que de mauvaises et dramatiques nouvelles qui nous viennent du Détroit. Il ne se passe pas un jour sans que les autorités marocaines, impliquées dans la lutte contre ce phénomène, interceptent des embarcations de fortune bourrées de clandestins ou que la Guardia civile repêche des corps de noyés. Un commerce très juteux pour les réseaux de passeurs. Il est chimérique de vouloir opposer une parade aux flux incessants et impétueux de milliers de candidats au départ. Il n'existe pas de loi efficace contre les déplacements des populations qui lorsqu'elles sont dépourvues d'horizon dans leur pays n'ont de choix autre que d'essayer de se diriger au péril de leur vie vers des cieux jugés plus cléments. En l'absence d'une alternative pour les exclus de la croissance, la ruée vers l'Espagne ne diminuera pas. Elle est même appelée à s'accentuer au rythme du chômage et du malaise social. Comme quoi, il ne suffit pas de déclarer la guerre à la pression migratoire pour que celle-ci soit stoppée. L'Europe serait mieux inspirée de s'impliquer sérieusement dans des projets de co-développement au Maroc au profit de tous ceux qui sont tentés par l'aventure du Détroit. Cette affaire ne concerne pas seulement l'Espagne qui pour se protéger est tentée par des mesures unilatérales. Plus complexe, le problème interpelle par contre l'ensemble de la communauté européenne pour fournir des réponses liées au développement durable dans les pays émetteurs d'émigrés. Dans cette configuration, le Détroit et ses15 km montrent si besoin l'immensité du fossé qui sépare le nord et le sud. Un fossé qu'il s'agit de réduire par un véritable partenariat au lieu de le creuser davantage par des politiques juridiques finalement contre-productives.